Quelques jours après que Grant Mc Lennan nous ait quittés, c’est sur une note remplie de culpabilité que nous rédigeons cette chronique. Celle d’avoir passé sous silence ce qui restera leur ultime opus studio, Ocean Apart. Et pourtant, voilà un an, dieu sait que nous nous étions précipités chez le disquaire pour se procurer ce disque en import à un prix exorbitant… Enthousiasmés par ce retour à une production plus arrangée – dans l’esprit de leur inoubliable 16 Lovers Lane – on se souvient avoir considéré Ocean Apart comme leur meilleur effort depuis leur reformation. Faute de temps, on repoussa lâchement l’échéance de rédiger quelques lignes là-dessus jusqu’à l’omission. Et puis survint l’évènement tragique du 6 mai dernier, un coup donné en traître qui finira de nous tordre de remords.
Faisant office de testament visuel, That Striped Sunlight comprend deux concerts donnés dans leur fief de Brisbane à l’occasion de leur dernière date de tournée d’été 2005. La première est filmée avec le groupe le 6 Août sur la scène du Tivoli ; la seconde, enregistrée le lendemain, se déroule dans un cadre plus intimiste. Excellente initiative, l’objet est accompagné d’une version CD du premier. Le concert en public est un digne témoignage de ce que pouvait dégager une de leurs prestations. Certes, les Go-Betweens n’étaient pas un groupe transcendant sur scène, mais l’on se plait à penser que la perfection de leurs pop songs gravée sur disque n’était tout simplement pas à portée d’atteinte d’un point de vue scénique. Le seul fait d’entendre ces mélodies exécutées d’une manière si sincère et humble, pratiquement dénuée d’effet, comme au bon vieux temps du Velvet Underground (influence assumée), suffisait à notre bonheur.
Cette première soirée offre un tour de chant aux allures de Best Of, équilibrant équitablement la carrière du groupe depuis les débuts jusqu’aux trois derniers albums : “Spring Rain”, “Streets of Your Town”, “Was There Anything I Could do”, “The Clock”… Grant Mc Lennan fait les premiers pas vers la salle, seul devant le micro avec sa guitare folk. Il interprète un touchant “Black Mule”, tiré de son premier album solo. Puis Robert Forster le rejoint pour une version fraternelle, très Simon & Garfunkel, de “Clouds” chargée en émotions. Bien que Forster se soit toujours imposé comme le plus charismatique des deux – Mc Lennan demeurant régulièrement en retrait sur scène – on ne peut s’empêcher d’observer ce petit bonhomme au regard lumineux, à la générosité sans pareil. Avec le contre-coup de sa disparition, le visionnage draine évidemment un parfum nostalgique – pour ne pas dire poignant – qui intensifie chaque apparition du disparu. Le même effet nous avait traversé à la vue du déchirant documentaire The Wind consacré à Warren Zevon, atteint alors d’un cancer en phase terminale et filmé durant les six derniers mois de sa vie en studio. Et pourtant, loin de tout voyeurisme mortuaire, les chansons des Go-Betweens ont cette capacité à nous transporter instantanément vers d’agréables souvenirs plus ou moins lointains.
Le second document ravira ceux qui ont déjà eu la chance de voir le groupe sur scène. The Acoustic Stories donne à voir un moment privilégié : réunis dans un appartement cosy (peut-être celui de Mc Lennan ?), le duo délivre un set acoustique entrecoupé d’anecdotes historiques sur leur parcours et autres plaisanteries. Durant plus d’une heure, quelques classiques devenus rares sur scène sont effleurés tels les immenses, “Cattle and Cane”, “Bachelor Kisses”, “Head Full of Steam”, “Dive For Your Memory”. En ce bel après-midi de dimanche, un rayon de soleil pénètre le salon pour atteindre le parquet. On imagine derrière une nuée de moineaux qui se tiennent sur le rebord de la fenêtre pour écouter religieusement ces airs divins… ce devait être une très belle journée.
Lorsque Mc Lennan clôt sur “Finding You”, une de ses dernières compositions, on ne peut s’empêcher de crier au gâchis. L’homme était encore capable d’écrire des mélodies bouleversantes. Ironie du destin, il lui revient de répondre à la dernière question sur le futur du groupe : il se dit confiant, que l’avenir est rempli de chemins à explorer et qu’il se verrait même prêt à composer une BO pour un film français…
Vous avez peut-être entendu cette phrase tout comme moi quelque part: les chansons des Go-Betweens n’ont jamais atteint les sommets des Charts, mais elles ont touché le coeur de milliers de fans pour la vie. Et c’est terriblement vrai.