Retour des « scousers » magnifiques, qui signent douze émanations pop de Love et des Byrds, avec bien sûr le souffle mélodique le plus pur du Merseyside. La musique des frères Head reste l’âme de Liverpool.


Difficile, à l’écoute de ce nouveau chef-d’oeuvre, de ne pas se remémorer You’ll Never Walk Alone, fabuleux documentaire sur la scène musicale de Liverpool paru au début des années 90 alors que les cicatrices laissées par la Dame de fer sont toujours profondes. La ville est en déclin économique, oubliée par le reste du pays : des rues accablées par le chômage et la désertion de la classe prolétaire. Le film nous entraîne sur les trottoirs fantômes du Merseybeat au côté de Ian Mc Culloch, attachant guide de beuverie et gouailleur légendaire. On y croise The La’s, The Stairs et puis les frères Head, qui bien malgré eux volent la vedette aux autres gloires rock locales. Qualifiés de plus grands espoirs de la pop britannique au début des années 80 avec les Pale Fontains, les voilà dix ans plus tard sans contrat et toujours en proie à de sérieux problèmes de drogue. Zich, premier album de Shack, a pratiquement été avorté à sa sortie, emporté par le dépôt de bilan du label d’alors. De retour à Liverpool chez leur mère, Michael et John Head errent dans la ville en compagnie des journalistes, un ballon de foot à la main, le regard vide. Certaines séquences pourraient être du pur Ken Loach. Dans une scène surréaliste – devenue mythique – on voit les deux frères réunis dans leur cuisine au milieu d’une pile de linge sale, pour y jouer une musique bouleversante, là où l’étincelle brille encore.

15 ans plus tard, Mick et John Head sont toujours là. Liverpool va mieux aussi. Mick est père de trois enfants, John deux. La dépendance aux drogues semble bel et bien terminée mais les galères continuent. Leur précédent opus, le fluet …here’s Tom With The Weather a encore une fois essuyé les plâtres de leur maison de disques. C’est finalement Noel Gallagher, un fan de longue date, qui les prend sous son aile via son label Sour Mash Records. Nouveau contrat donc pour le clan Head, nouveau bassiste aussi et nouveau logo (plutôt moche d’ailleurs).
Enregistré dans leur fief Liverpooldian …The Corner Of Miles And Gil est produit par le songwriter local et ami de longue date Yorkie, dont le travail ici sur les arrangements de cordes et cuivres est tout à fait exceptionnel. Du fait de moyens plus conséquents, le son s’est nettement étoffé, assez proche de leur collaboration avec Hugh Jones du temps du britpoppien H.M.S Fable. Canaliser le meilleur de leurs trois précédents albums : des ballades déchirantes exécutées avec un sens de la mélodie parfaite. Les frères Head ont un don pour chanter des airs d’une beauté angélique : tout semble pesé avec une telle justesse, une telle maîtrise, rien de clinquant ne dépasse de leurs refrains. On en est même à se demander si finalement toutes ces successions de malchances n’ont pas permit à Shack de conserver leur inspiration à un tel niveau d’excellence. Les arrangements de corde fastueux du single “Tie Me Down” est la dernière démonstration de leur talent de mélodistes innés. Leur vieille obsession pour Love, déjà bien disctincte chez les Pale Fontains, ne s’est pas altérée avec le temps. Des trompettes sifflent avec eux des refrains guillerets « Na Na Na Na » dégageant un arrière-goût d’espoir, ou plutôt d’une résistance toujours aux aguets.

En perpétuelle recherche de la mélodie ultime, Micheal Head décroche de nouveau une bonne poignée d’airs absolus. Les arpèges les plus beaux du monde, ceux joués sur Rickenbaker, enjolivent ces ballades après lesquelles court toujours leur désormais nouveau patron. C’est Michael head qui devrait être à la place de l’autre aîné Gallagher, et il ne le sait que trop bien. Une prouesse pop tel que “Cup of Tea” ou encore le renversant “Shelley Brown” a dû encore une fois faire sérieusement douter les capacités du compositeur d’Oasis. pour enfoncer le clou, “Miles Away”, emprunt du souffle Merseybeat, rafle la mise avec le refrain le plus brillant qu’on ait entendu depuis… depuis… L’éternel petit frère John signe quatre de ses plus belles compositions : “Butterfly”, une flânerie folk imprégnée du sel de ces marins qui ont quitté le port de Liverpool et sombré dans l’Atlantique. Diamant noir du disque, l’inquiétant “Moonshine” filera les jetons, ébroué par des arrangements oppressants et des six-cordes nylon grattées sur une lame de rasoir.

Avec leur frère maudit The La’s, le chant des frères Head garde derrière quelques mélodies légères ce pouvoir d’évocation nostalgique de leur histoire ouvrière, celle d’une ville à l’identité indéniable qui a connu des hauts et des bas, mais qui se relève toujours. Les frères Head restent intouchables.

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