Le chanteur de Seattle revient à sa façon, c’est-à-dire avec une discrétion hors pair, sur la pointe des pieds. Il nous confie qu’il est dans l’ombre de quelqu’un. Mais de qui ? Une simple écoute de ce septième album donnera quelques pistes aux plus avertis.


A t-on jamais vu quelqu’un d’aussi discret ? Un chanteur talentueux, qui, posément et sans armertume, officie depuis dix ans dans un pareil anonymat ? Damien Jurado est certes un peu à part sur la scène de Seattle, et distille périodiquement des albums à la langueur magnifiée. Le dernier en date, On my Way to Absence, avait confirmé son talent pour la mélancolie, tout en laissant entrevoir quelques irisations électriques.

And Now That I’m in your Shadow s’annonce comme le fils légitime de ce précédent opus : le décor instrumental et vocal semble en effet en tous points semblable. Et ce qu’on pourrait appeler «son fonds de commerce» est toujours aussi efficace. Des arpèges délicats et une touche de violon : voilà la première impression – sans doute la bonne – qui émane de l’écoute de “Hoquiam” qui ouvre l’album. Sa voix impressionne toujours autant par cette délicieuse fragilité, et le rapproche indéniablement d’autres poètes maudits : le charme anglais de Nick Drake, la tendresse bourrue d’ Eliott Smith. Si «ombre» bienveillante il y a, il faut assurément aller la chercher du côté de ces songwriters illustres. En fait, Damien Jurado va sans cesse d’ombres bienveillantes en présences fugaces, tant sa musique évoque de nombreuses figures du songwriting. Ces masques successifs, empruntés – ou volés selon votre point de vue – agissent comme une protection rassurante pour ce chanteur timide, et confère à ce dernier le statut d’artiste perpétuellement dans l’ombre d’autres figures contemporaines. On voit ainsi défiler la présence bougonne de Bonnie Prince Billy : “Denton TX” rappelle, par l’entremise d’une voix féminine et du duo piano-guitare, certains morceaux de The Letting Go, tandis que d’autres louchent vers la mélancolie vibrante de I See A Darkness (“I Had No Intentions”, “Gas Station” ou “Now That I’m in Your Shadow”, joli clin d’oeil). Même la boîte à rythmes de “What Were The Chances” pourrait être empruntée à “Arise Therefore”. On pourrait continuer à passer en revue la discographie de Will Oldham, tant le masque choisi par D. Jurado lui colle à la peau.

Heureusement, lorsque Damien Jurado laisse quelques instants ses fantômes et s’abandonne à plus de spontanéité, il parvient à un résultat qui semble, enfin, lui ressembler. L’irruption timide de la batterie et la voix caressante sur “Here Comes Your Man” dessine une mélancolie maîtrisée. “I Am Still Here” reprend pourtant ses mauvaises habitudes : une mélodie qu’on semble avoir déjà fredonné, sur fond de guitare acoustique et harmonica. Il semble apprécier plus que tout cet état de spleen assumé, qui s’avère assez rapidement communicatif. “Hotel Hospital” – plage instrumentale de 1 minutes 06 – ne doit en aucun cas être écoutée avant un entretien d’embauche ou un rendez-vous galant : humeur morbide assurée. Tandis que l’instrumental “Survived By Her Husband” plongera quiconque dans une langueur moite, avec ses nappes de cordes monochromes. Seul “Montesano”, qui clôt l’album, est à même de suggérer une rêverie lumineuse, grâce à un chant en écho qui opère une ascension dans les aigus.

Finalement, And Now That I’m in your Shadow nous laisse sur notre faim : notre jugement est sans cesse parasité par l’irruption embarassante de figures bien connues. Avec cet album certes très agréable à écouter, Damien Jurado confirme la réputation qui le suit depuis ses débuts : celle d’un suiveur, aussi doué soit-il.

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