somekindofmonters.jpg Quelle étrange invention que le documentaire rock. La valeur de l’objet est en elle-même fondamentalement gadget, destinée à assouvir la passion étroite du fan et sans grand intérêt pour un public non averti. Depuis les premiers films consacrés aux Beatles, le documentaire rock est devenu un outil promotionnel dévoué à la gloire de l’artiste, enclin à reproduire une somme des clichés inhérents aux statut de la rock star : mise en scène subjective, décadence des groupies, limousines et paillettes, chambres dévastées… En de rares occasions ce cadre conformiste a été dépassé pour aboutir à des oeuvres remarquables : la performance expérimentale de Stop Making Sense et One + One, le contexte historique de The Last Waltz, Don’t Look Back, Rude Boy ou encore, Gimme Shelter sont quelques exemples parmi les plus passionnants…

Souvent scindé en deux formats distincts, le concert filmé et le reportage journalistique, le documentaire rock semblait à bout de souffle ces vingt dernières années, jusqu’à l’émergence de la télé réalité. Le succès du programme hilarant «The Osbournes» qui suit la vie au foyer du hard rocker Ozzy Osbourne incapable de tenir tête à ses progénitures en pleine crise adolescente, a provoqué un petit séisme télévisuel. Le grand méchant rocker a fait une entrée fracassante dans le divertissement familial (Le show connaît actuellement une déclinaison avec Gene Simmons, bassiste de Kiss à la langue fourchue, reconverti en businessman sans vergogne).

dig.jpg Cette nouvelle forme de fiction rock a engendré des films tout à fait pertinents. Le plus fameux à ce jour demeure Some Kind Of Monsters, un reportage hallucinant qui suit la thérapie des metallos millionnaires Metallica durant l’enregistrement de leur nouvel album, assisté d’un… coach « psy ». Le prétexte de la caméra « vérité » se transforme malgré elle en témoin de situation burlesque au gré des scènes de conflits internes. Nul besoin de mentionner qu’il ne faut pas être amateur du groupe pour apprécier le film. Autre exemple, Dig ! expose en parallèle le destin des Dandy Warhols et du Brian Jonestown Massacre, deux groupes underground californiens qui opteront chacun pour des choix artistiques opposés. Ici, le rôle principal revient au perdant – Anton Newcombe – celui qui envers et contre tous reste fidèle à son art. On y suit son quotidien plutôt pathétique et autodestructeur, filmé non sans une pointe d’ironie. Plus paradoxal, le phénomène autour du film a propulsé le Brian Jonestown Massacre, jusqu’ici illustre inconnu, vers une reconnaissance public inattendue. Sans ce film, le groupe serait probablement toujours en train de végéter. Finalement, en mettant en valeur un mode de vie sans flamboyance et précaire, Dig ! valorise un autre cliché persistant dans le monde du rock : celui du « loser magnifique ».

Récemment, la sortie des documentaire Loud Quiet Loud et Tell Me Do You Miss Me… consacrés respectivement aux Pixies et Luna, pousse le bouchon encore plus loin dans cette désacralisation du mythe rock. Cette fois, l’humour n’est même plus de mise. Tell Me Do You Miss Me… a pour objet la tournée d’adieu de Luna, quatuor vénérable mené par Dean Wareham et figure culte du rock indépendant New Yorkais. Enquêté à la façon de « strip tease », on y suit le quatuor dans ses derniers mois d’activité au fil de voyages au Japon, en Europe et aux Etats-Unis. Si contrairement à Some Kind of Monsters la communication interne au sein du groupe fonctionne tant bien que mal et sans animosité, les tensions silencieuses révèlent un groupe miné par le doute et les rancoeurs de l’insuccès. Pour Dean Wareham, la vie d’un groupe de rock est devenu un véritable sacerdoce, le musicien avoue avoir passé l’âge de se trimballer de ville en ville sans réelle perspective. On comprend derrière quelques sous entendus qu’il est désormais plus accaparé par la troublante bassiste (vraiment troublante) Britta Phillips et son fils. Mais le plus fascinant demeure cette sensation diffusée par la pellicule d’ennui absolu passé dans le bus, d’attente interminable jusqu’à la prochaine salle de concert. En arrière plan des lumières de la scène, ce sont les coulisses d’un monde ingrat qui nous sont dévoilées comme jamais, avec toujours cette incertitude de pouvoir boucler les fins de mois.

tellmeluna.jpg Si Loud Quiet Loud prend la trame en sens inverse, il s’inscrit dans ce prolongement d’ennui. Le DVD entend dévoiler quelques réponses autour d’une reformation où la planche à billet tourne à plein régime et où le silence devient slogan promotionnel. Mais la vérité autour de cette réunion mystérieuse où rien ne filtre, c’est que les membres du groupe ne communiquent même pas entre eux ! Les séances backstage sont de grands moments d’autisme communautaires*, d’une banalité affligeante. Déjà à leurs débuts, les Pixies n’étaient pas du tout glamour, et les choses ne se sont pas améliorées avec le temps. Ces types là sont l’incarnation même de l’anti rock star et pourraient aussi bien travailler dans une boulangerie. Le portrait dépeint de chaque musicien n’est guère reluisant et aurait même tendance à grossir les traits : Quatre ex-connaissances qui n’ont plus rien en commun, parachutées au milieu d’une machine énorme qui les dépasse. Frank Black ressemble à un bof qui roule en 4×4 et écoute de la musique d’ascenceur dans son poste radio. Kim Deal, (qui n’est plus aussi cool que le chantait les Dandy Warhols), totalement assistée, ne fait pas un seul déplacement de tournée sans la présence de sa soeur. David Lovering est un magicien raté devenu alcoolique pendant la tournée. Seul Joey Santiago semble à peu près normal. On a le sentiment d’assister à une énorme supercherie jusqu’à ce qu’ils franchissent le dernier rempart de la scène où, miraculeusement, l’aura légendaire des quatre de Boston reprend vie au son des amplis. Après tout ce déballage de vérité, on en avait presque oublié que c’est la musique qui compte le plus, finalement.

*à ne pas manquer dans les bonus, la rencontre de Frank Black avec Sigur Ros dans leur studio, un véritable voyage dans la quatrième dimension.

– Lire aussi : Les Rolling Stones dans l’oeil de Godard

Sélection de DVDs recommandés :

Stop Making SenseTalking Heads /par Jonathan Demme (Collection Repérages)

Sympathy For The Devil (One + One)The Rolling Stones / par Jean Luc Godard (Carlotta Films)

The Last WaltzThe Band / par Martin Scorsese (MGM)

Don’t Look BackBob Dylan / par D.A. Pennebaker ( New Video Group /import zone 1)

Rude BoyThe Clash / par Jack Hazaon & David Mingay (Night & Day)

Gimme ShelterThe Rolling Stones / par Charlotte Zwerin & Albert Maysles (Criterion Collection/ import zone 1)

Some Kind Of MonstersMetallica / par Joe Berlinger et Bruce Sinofsky (On Request)

Dig !The Dandy Warhols & Brian Jonestown Massacre / par Ondi Timoner (TF1 Vidéo)

Tell me do you miss me Luna / par Matthew Buzzell (Warner /import zone 1)

Loud Quiet LoudPixies / par Steven Cantor, Matthew Galkin (Pias)