Les concerts parisiens organisés par l’activiste Karel Beer sont toujours synonymes de bon goût. Grâce à lui, le passage de la Java situé juste en dessous du quartier de Belleville, a vu défiler quelques valeurs sûres tels que le légendaire Richard Thompson, le canadien Hayden, Josh Rouse, ou encore le Willard Grant Conspiracy. Ce soir, c’est l’ex figure des Soft Boys Robyn Hitchcock qui a traversé la Manche pour nous gratifier d’un concert intimiste.
Un peu oublié par chez nous, Robyn Hitchcock demeure un musicien à l’aura certaine aux Etats-Unis où il continue de tourner régulièrement – il y était encore le mois dernier – et dont l’excellent dernier album Olé Tarantula ! (son 22eme !) enregistré avec notamment deux membres de REM (Peter Buck et Bill Rieflin) constitue sa plus solide collection de morceaux rock depuis Perpex Island – ce qui remonte déjà à presque 15 ans… Quelques étrangers, dont une bonne poignée d’américains, sont venus ce soir s’aventurer dans cette petite salle située en sous-sol pour saluer ce musicien qui n’a cessé toute sa vie de lutter contre le conformisme musical.
Après une première partie de blues-rock académique et tricolore (The Latrine Lovers), il est plus de 22h lorsque le géant britannique grimpe sur scène. Un peu voûté par le plafond bas de la salle, il arbore une chemise à fleurs qui n’a d’égale que sa musique farfelue. Son ami et fidèle pilier de plus de trente ans, le batteur Morris Windsor, l’accompagne pour cette soirée exceptionnelle sous forme de duo acoustique, puis électrique. Le dévergondé “Museum of Sex” tiré du nouvel album est une belle entrée en matière, qui permet de mesurer à quel point l’osmose musicale entre les deux compères frise la télépathie. Solide apport rythmique, Morris Windsor s’avère également un excellent soutien vocal pour les folk songs abstraites aux harmonies tarabiscotées. Performer hors-pair, il est étonnant de constater combien le quinquagénaire a conservé intacte sa voix de Lennon jouvenceau.
Le génial poète de Cambridge s’évertue à communiquer entre deux performances avec le public dans un français approximatif. Il tente une vague explication de sa prose baroque incompréhensible mâtinée d’histoires d’araignées et d’hamsters de compagnie, mais aussi de plusieurs chansons dédiées à ses amis disparus. On doute que les étrangers présents dans la salle comprennent un traître mot de ses élucubrations dans la langue de Molière (même dans sa langue maternelle, le challenge paraît très rude), mais le message passe grâce à un humour et une générosité typiquement britannique.
Le set pioche essentiellement dans son répertoire des dix dernières années, plus quelques rares vieilleries indémodables (“I’m Only You”, “Airscape”). Hitchcock est un redoutable compositeur pop doublé d’un guitariste rythmique polyvalent à l’audace singulière, usant selon les besoins du morceau d’un bottleneck grinçant sur “We’re Gonna Live in a tre Trees”, d’accordages non conventionnels et d’arpèges tordus à la mélancolie étouffée du plus bel effet (sa grande spécialité). Une bonne heure passe lorsque le barde acidulé troque son acoustique pour un peu d’électricité. Le set devient plus dur et psychédélique, avec quelques pointes de rage rock’n’roll qui ont le mérite de réveiller le vieux punk qui sommeille en lui. Une reprise du Velvet underground, “New Age”, a évidemment les faveurs du public avant le rappel.
De retour pour le rappel, Hitchcock cherche du regard dans la salle son ami « Rodolphe » qu’il invite à le rejoindre sur scène. A la surprise générale, l’ami anonyme en question s’appelle Rodolphe Burger. Le temps d’emprunter une guitare et voilà parti le trio pour une reprise monstrueuse de “Tomorrow Never Knows” des quatre garçons dans le vent. Le son que parvient à tirer Burger de l’instrument – qui semblait bien inoffensif entre les mains du guitariste de première partie – déploie ici de terribles effluves de larsen « kat Onomaesque ». Burger fait mine de poser la guitare à la fin du morceau, mais Hitchcock enchaîne sans temps mort avec une seconde reprise incisive du Velvet, “Waiting For My Man”, que l’ex-guitariste de Kat Onoma ne peut décliner. Dans l’emportement général, un bassiste les rejoint puis un troisième guitariste… Le terme « montée en charge » est un doux euphémisme au regard de ce qui se trame devant nous. Enfin, une version épique de “Maggie’s Farm”, du troubadour Dylan, et « Who Do You Love » du non moins légendaire Bo Diddley terminent de combler une audience aux anges. Il est minuit passé, Karel Beer reprend le micro pour le mot de la fin « une soirée mémorable, comme on les aime à la Sound Gallery ». On acquiesce sans hésitation.
Un grand merci à Pascal Amoyel pour son oeil de lynx et surtout ses photos
– Lire également Robyn Hitchcock & The Egyptians – I Often Dream of Trains (1984)/ Flegmania !(1985)/ Element of Light (1986)