Avec ce prodigieux second album, le groupe originaire de Cincinnati confirme en diversifiant sa palette sonore qu’il est bien un des plus importants fleurons de la scène hip-hop actuelle.


Il y a quelques mois, très enthousiastes, on découvrait avec deux ans de retard – tout de même ! – le premier album de Iswhat?! (You Figure It Out), formation underground aux confins du hip-hop et du jazz le plus aventureux. Distribué plus promptement, The Life We Chose vient enfoncer le clou du ravissement et conforter nos premières impressions quant à l’originalité de cette musique au caractère bien trempé. A présent organisé autour du duo composé de Napoleon Maddox (textes, chant et beatbox) et Jack Walker (saxophone) – Matthew Anderson (contrebasse) étant cette fois-ci plus discret, puisqu’on le retrouve seulement sur cinq titres -, IsWhat?! doit être avant tout appréhendé comme un collectif hors pair qui compte dans ses rangs des invités iconoclastes comme le batteur Hamid Drake, le trompettiste Roy Campbell, la saxophoniste Claire Daly, la paire drum’n’bass Ming & FS ou encore Goonda et Prose & Ill Poetic aux beats. Interactions sonores, circulations instrumentales, échanges de flow, additions de rythmes, changements d’humeurs sont au coeur d’un processus musical dans lequel l’effervescence et le dialogue génèrent à la fois une esthétique et un discours, facteurs musicaux et sociaux se combinant en un jouissif melting-pot où est portée à bras le corps la notion de révolte.

Si The Life We Chose commence ainsi par une reprise acoustique haletante (“Kashmir” de Led Zeppelin), enregistrée live et uniquement jouée par le trio originel basse/voix&beatbox /saxophone, parfaite entame et passerelle sonore entre le précédent album au son tranchant et celui-ci plus produit, dès le second morceau le slam latino de la bolivienne Daniela Castro vient inoculer sa chaleur incendiaire au groove puissant de Jack Walker et Matthew Campbell, témoignant d’une ouverture étonnante et de la capacité du groupe à accueillir et recycler tous les sons du monde pourvu qu’ils entretiennent la flamme contre l’oppression. Plus posée, la trompette de poche de Roy Campbell apporte ensuite sur “Mooch”, non sans humour, une couleur be-bop au sein d’un morceau à la cadence faussement détendue. Plus loin, sur le titre éponyme, les beats de Ming & FS couplés à la batterie exaltée de Hamid Drake produisent de nouveau une furieuse poussée de sève qui laisse deviner une rage tourmentée ne s’embarrassant d’aucun cliché ni idée reçue, tout en soutenant en creux la question cruciale de l’engagement artistique et politique (un pléonasme pour les IsWhat ?!) soulevée par le flow de mots.

Cet axe politique que le groupe ne perd jamais des yeux ni des oreilles s’impose de nouveau avec force et fracas sur “Circus” et “Ill Biz” : tragique et sardonique, Napoleon Maddox épingle avec une rare virulence le gouvernement de Bush, la part d’irresponsabilité qui le caractérise, ses accoitances douteuses parmi les grandes firmes industrielles, la volonté de contrôle des consciences qu’il manifeste et les retombées sociales désastreuses qu’il occasionne. Au diapason, la musique véhicule une ironie mordante (un air forain ouvre puis réapparaît dans « Circus ») tout en déroulant une implacable mécanique de concassage sonore et de prolifération de tempi, mais sans se disperser pour autant et déroger à la ligne directrice fixée – à l’instar de la ligne de basse/colonne vertébrale de « Circus ». Plus loin, sur l’énergique tube en puissance “Front” se déploie une rythmique drum’n’bass qui, encore une fois, fait dévier le hip-hop hors de son pré carré initial, vers un dance floor fiévreux où les corps transportés se libèrent du carcan dans lequel on voudrait les enfermer. Une libération qui peut aussi passer par l’échappatoire des rêves, comme sur “The Voice Within”, morceau onirique où la musique parle à la place des mots et l’étrangeté des mots délivre une musique envoûtante.

Plutôt que d’imposer un style récurrent et consensuel, IsWhat ?! incarne la notion même de contre-courant. Mais, ici, l’importance du « contre » prédomine sur l’idée de « courant » : en se frottant à d’autres expressions artistiques issues de la culture afro-américaine et d’autres convictions que celles imposées insidieusement par les diktats de la société marchande, ce collectif vient perturber de l’intérieur, sinon défigurer un certain hip-hop dont il dénonce les scories. Il parvient ainsi à le métamorphoser et à le faire sonner autrement. Certes, pareilles hybridations et tentatives de renouvellement sont observables chez d’autres (The Roots notamment), mais le groupe IsWhat ?! met suffisamment de coeur à l’ouvrage et d’intelligence critique dans sa démarche pour que sa musique, d’une irréprochable tenue, sorte du lot et nous laisse à penser, sans la moindre crainte, qu’elle est loin d’avoir dit son dernier mot.

– Le site de IsWhat?!

– Le site de Nocturne.

– La page Myspace de IsWhat?!