Deuxième album paru en un an pour ce groupe du Midwest, The Careless Flame vous laissera totalement K.O. par son cocktail de rap-punk brûlant et très convaincant !


Dans la famille hip hop indé, je prendrais bien une bonne rasade de Kill The Vultures, moi qui suis un piètre buveur de ce genre de breuvage. En effet, je n’ai jamais eu la fibre hip-hop ni américaine ni française, à peine quelques flirts avec l’abstract hip-hop et pourtant, il faut bien admettre que ce deuxième opus des ex-Oddjobs m’obsède depuis plusieurs jours. Pourquoi ? Parce que la bande du MC Crescent Moon propose un rap rugueux qui croise dans la forme les Last Poets avec Charlie Mingus. Parce qu’elle fait du rap dans un esprit punk dur et abrasif qui serait lui-même un avatar crasseux d’une forme de blues primitif totalement fascinant.

Avec ce deuxième opus, Kill the Vultures installe d’emblée un ton et une liberté de style saisissants. S’il fallait mettre des images sur cette musique, ce serait celles de Shadows de John Cassavetes, pour l’amour du jazz, pour l’explosion des contraintes formelles, pour la virtuosité des séquences et pour le désespoir qui transpire sous une couche de beauté incandescente. Côté son, les samples et beats de DJ Anatomy ressemblent à du travail d’orfèvre. On retrouve des envolées furieuses de cuivres (« The Spider’s Eyes », « How Far Can a Dead Man Walk »), des tamtams affolés (« Dirty Hands ») et du son lourd (« Stranger in the Doorways », « Birchwood »). Il y a aussi du walkin bass boisé (« The Wine Thief ») et du folk sous acide (« Days Turn into Nights ») avec guitare chétive et, plus loin, des cloches pastorales et des motifs de musique indienne. Côté texte, c’est de la harangue à la Gil Scott-Heron (période Small Talk at 125th and Lenox) quand ce n’est pas du rap qui a la gueule de bois à l’image de « Moonshine », morceau introductif aussi poisseux qu’un lendemain de biture. Ce pourrait être aussi du vaudou ou de la transe tant les mots qui jaillissent du flow des MCs semblent provenir d’accès de fièvre.

Pas besoin d’apprécier le rap pour aimer Kill The Vultures. On peut tout aussi bien l’écouter comme on se passerait un disque de blues rural, de protest songs, voire de trip hop (je pense aux premiers Tricky). Il y a là le parti pris de jouer avec les tripes avant de se poser des questions, quitte à laisser apparaître une vérité dégueulasse. Mais, curieusement, au milieu de ce marasme orchestré se cache aussi de la lumière (« Vermillion » et son dialogue guitare/contrebasse mélancolique). Acclamés par des pointures indie comme Prince Paul, Fader ou Blow Up, les membres de Kill The Vultures trouvent l’aboutissement d’une longue quête musicale commencée au milieu des années 90 sous le nom d’un collectif dont ils sont issus (Cases of Mistaken Identity). Après pas mal d’années de tâtonnement, ils imposent un son lo-fi volontairement éloigné des productions ronronnantes. Ce rap de blancs becs du Midwest ouvre une brèche à coups d’électrochocs salvateurs. Un grand petit disque (30 minutes) sans concession à mettre d’urgence sur sa platine.

– Le site officiel