Un orchestre de musique de chambre s’éprend de pop sur un album raffiné et bouleversant, parmi les plus originaux entendus ces derniers mois. Une pure splendeur.


Quatre mots qui en disent long : une inspiration qui venait du froid (North), une étendue musicale à perte de vue (Sea), différentes ondes tendant à être sur la même longueur (Radio), un groupe instrumental soudé (Orchestra). Quatre mots côte à côte derrière lesquels sévit pas moins d’une vingtaine de musiciens, tous établis à Londres et regroupés depuis 2002 autour d’un noyau dur composé de Craig et Sharron Fortnam, William D Drake (chanteur et compositeur) et James Larcombe (pianiste et organiste). Au départ, le prolifique compositeur, arrangeur et guitariste Craig Fortnam avait pour dessein de fonder avec son épouse – une chanteuse lyrique dont le timbre de voix aérien rappelle parfois celui de Kate Bush – un collectif qui permettrait de donner à ses compositions d’obédience classique une tournure et une envergure plus adaptées à un large public. Regroupant d’abord huit musiciens, l’orchestre s’est rapidement étoffé, notamment avec l’ajout d’un choeur de six voix, et comprend à présent une large palette instrumentale : clarinette, violons, basson, percussions, hautbois, contrebasse, violoncelle débordent ainsi les murs d’une chambre de musique(s) devenue bien trop étroite pour les contenir tous.

Les compositions de Craig Fortnam sont ficelées dans la poésie lyrique victorienne (les morceaux chantés sont de vibrantes adaptations de textes classiques écrits, entre autres, par Alfred Tennyson et W. B. Yeats) et laissent cheminer des atmosphères éthérées qui sondent la profondeur de mélodies atemporelles. Anachronique, cette musique somptueuse le sera uniquement pour tous ceux qui cajolent leurs penchants conservateurs et sont les dévots d’une modernité amnésique. Car de « classique », North Sea Radio Orchestra n’a en réalité que la rigueur orchestrale et la méticulosité harmonique. La beauté de cette musique se joue ailleurs, dans ces passerelles suspendues sur l’inconnu qui ouvrent le champ à de multiples orientations et divers langages musicaux. Tel un gond bien huilé, l’écriture de Craig Fortnam articule entre eux passé et modernité, sans que le premier prenne le pas sur la seconde, bien au contraire. Sous ses faux airs néo-classiques, North Sea Radio Orchestra est une embellie pop, mais une pop repensée et réinventée comme on aimerait l’entendre plus souvent.

La pop est-elle soluble dans la musique classique ? A écouter ce second album éponyme de North Sea Radio Orchestra, difficile de ne pas répondre par l’affirmatif. Max Richter, les Clogs ou les moins connus, mais pourtant indispensables, Dakota Suite, voire même Rolf Lislevand, se sont essayés avec talent et inspiration à explorer récemment ce territoire parallèle et mystérieux où se rencontrent et se fondent sans heurt des expressions musicales faites pour, littéralement, s’entendre et se répondre. Ce sentiment de communion domine à l’écoute de North Sea Radio Orchestra. Un titre instrumental comme “Hole In The Sky” laisse par exemple percevoir la grande musicalité du groupe : violoncelle, guitare et piano se tournent autour, forment à l’unisson un fluide ballet de timbres croisés tout en succombant au sortilège d’un format pop. De même plus loin avec le magnifique “Mimnermus In Church” : composé par William D Drake d’après un texte de William (Johnson) Cory, ce morceau élégiaque met en présence un choeur qui flotte au-dessus d’une mélodie lumineuse et un piano délicat par instants rehaussé de cordes. La complexe progression de la composition s’abstient de toute virtuosité gratuite ou sécheresse instrumentale, et ouvre plutôt un champ émotionnel constamment productif.

Bien que nourrie de lettres classiques, de musique baroque, de sons traditionnels et de culture anglaise (on peut aussi déceler ici ou là des accents folk) North Sea Radio Orchestra n’en demeure pas moins une formation très abordable, aux atouts mélodiques plus que séduisants, qui se défait de surcroît de son caractère strictement savant – ce qui n’est pas la moindre de ses qualités – pour glisser avec volupté vers tous les auditeurs, aussi bien l’amateur des opéras de Benjamin Britten que celui des symphonies pop de Sufjan Stevens. North Sea Radio Orchestra est un album qui passionne à chaque nouvelle écoute, agrippe naturellement nos oreilles et n’en finit pas de dérouler ses arabesques. Pour notre plus grand plaisir.

– Le site de North Sea Radio Orchestra.