Rose Kemp, jeune fille apparemment propre sur elle, livre un premier album abrasif et envoûté. Derrière ce disque poignant se cache un animal blessé, certes, mais surtout un véritable prodige.


Le premier album de Rose Kemp peut irriter un tant soit peu à la première écoute tellement les références paraissent évidentes. En effet, le titre d’ouverture, « Little One » commence sur quelques arpèges de guitare qui évoquent spontanément la séminale « Street Spirit (Fade Out) » de Radiohead, pour nous ramener illico à What Would The Community Think de la perfide Cat Power (album qu’il faut éviter d’écouter aujourd’hui sous peine de rester en deuil, car la Cat Power que nous aimions tant nous a bel et bien abandonnés avec son The Greatest tout moisi). La PJ Harvey sanglante des débuts est aussi convoquée sur un titre monstrueux, « Violence ». Plus loin, « Skins’ Suite » ressuscite le Jeff Buckley de Sketches For My Sweetheart, The Drunk. Ce quatuor béni (pour nombre de trentenaires en tout cas) compose la toile de fond de l’univers de Rose Kemp.

Passée cette première impression de célébration, quelque chose nous pousse de manière irrépressible à nous replonger dans cet album bien plus complexe qu’il n’y paraît. D’ailleurs, s’imposer de telles contraintes dans un premier disque (suivre les pas de ces illustres modèles) est synonyme soit d’inconscience, soit de mégalomanie. Mais il se pourrait bien que le moteur de ce disque soit tout simplement un talent à toute épreuve, et son carburant un mal-être permanent chez cette jolie jeune fille. Les chansons se suivent et ne se ressemblent finalement pas du tout. Rose Kemp enchaîne les brûlots, enfile les coups de feu, mais se laisse du temps pour respirer, soit sur des ballades aériennes, soit carrément a cappella comme sur la surprenante et magnifique « Tiny Flower » ou la non moins divine « Sister Sleep ». Deux chansons qui pourraient bien énerver Björk, tellement leur simplicité est bien plus efficace que tous les mugissements dont l’islandaise nous gratifie depuis quelques temps. Pas un titre ici ne souffre de la moindre faiblesse. Tout est magistralement interprété, joué, et la production sans fard de Charlie Francis (R.E.M., Turin Brakes, Will Oldham, Kaiser Chiefs…) sert très subtilement une musique ambitieuse et éminemment puissante.

Mais on le sait tous, le talent sans le génie n’est plus qu’une sale manie. Le génie de Rose Kemp, outre celui d’écrire des chansons solides, réside dans son chant, une interprétation habitée comme on en entend peu aujourd’hui, Outre Manche notamment. Elle fait corps avec ses textes, elle fait front avec ses démons. Elle est d’une force incommensurable. Elle est capable d’envolées printannières (la bien nommée « Metal Bird ») comme du coup de pilons particulièrement assassins (« Violence », « Dark Corners »). Elle ne plie devant aucun obstacle, elle ose tout, mais elle le fait intelligemment. Même si tout le disque reste sur un registre globalement guitaristique, la palette des genres ici offerte est impressionnante, et bien plus encore l’est sa maîtrise. La musique de Rose Kemp est charnelle et épidermique à la fois, voire écorchée. On reste figé devant autant de charisme, de mâturité, surtout pour un premier album. Bien au delà de ses références, Rose Kemp est un diamant brut, pur. Nous ne nous attendions pas forcément à être bouleversés de la sorte par un album aussi sincère et dense à une époque où il est plus convenu d’être clinquant que brillant. Absolument magistral.

– Le site de Rose Kemp .