L’oiseau de Chicago nous revient, sifflotant un peu moins sur les plages de Armchair Apocrypha. Entre fantaisie et mélancolie, une autre version du courage des oiseaux.


Fin 2005 avait vu l’éclosion – ou plutôt la maturation – d’un artiste singulier, capable d’ébaucher une pop raffinée, unique : un microcosme à part entière ponctué de pizzicati de violons, sur Andrew Bird and the Mysterious Production of Eggs. Entre l’humour noir du garçon, la virtuosité du musicien et la fantaisie du compositeur, difficile de trancher, tant Andrew Bird est un petit miracle à lui tout seul. Drôle – il suffit de le voir sur scène pour succomber immédiatement à ce grand gaillard maladroit – infiniment doué, sinon habité, Andrew Bird parvient à conserver cette allure d’adolescent accessible, au regard aussi lucide que modeste. Son album précédent nous a suivis jusqu’à maintenant, un album qu’on sait apprécier comme un tout, où le moindre interlude, la moindre envolée s’avèrent irremplaçables. Son successeur, Armchair Apocrypha, endosse donc la dure mission d’une passation de pouvoirs.

En fait, la comparaison entre les deux opus, qui réside forcément dans les attentes qu’on assigne à ce septième album, devient, dès le premier morceau, illégitime. Car Armchair Apocrypha se présente spontanément comme une direction nouvellement choisie par Andrew Bird. Il semble s’être posé, un peu comme si le sérieux grigotait peu à peu la douce excentricité qui le caractérisait. Point d’ennui cependant, car si l’artiste s’est quelque peu rangé, il a n’a pas remisé pour autant ses instruments fétiches : violons, sifflements aigus et virtuoses – quoi de plus normal quand on s’appelle Bird ? – mélodies enjouées. Mais ces marques de fabrique cohabitent désormais avec d’autres gimmicks discrètement empruntés au rock.

“Fiery Crash” est assez emblématique de ce virage emprunté récemment : le son s’annonce d’emblée plus profond, la guitare s’orne d’une légère saturation, la voix se fait plus grave. Andrew s’éssaie à un registre plus rock, tout en ajoutant quelques nappes de clavier, un violon et un piano, traits d’union instrumentaux qui le relient à son univers habituel. Dès “Imitosis”, il nous gratifie de pizzicati de violon – son leitmotiv – tandis que le rythme chaloupé donne presque un air cubain à la composition. “Plasticities” joue la continuité d’un doublé particulièrement réussi : désormais sa pop cousue de violon et de xylophone s’offre, sur un refrain particulièrement accrocheur, un court thème à la guitare électrique. Finalement, le Andrew Bird qu’on connaissait ne s’est pas évaporé, il nous fait du coude tout au long de cet album, nous envoie des clins d’oeil et des appels du pied, à grands renforts de nappes de violons et de compositions recherchées (“Heretics”, “Darkmatter”).

A partir de l’éponyme “Armchair”, le disque prend discrètement une tournure plus intimiste, et se love dans les méandres de la mélancolie. Piano, batterie feutrée, arpèges chuchotants, Andrew change de registre et rejoint la musique racée de feu Jeff Buckley, sa voix ayant d’ailleurs des intonations étonnamment similaires. “Simple X” marche sur les traces d’une folk plus hybride, où bat un coeur électronique, relayé par des percussions. Une métamorphose supplémentaire qui lui sied à merveille, car elle se farde d’atours lumineux qui faisaient cruellement défaut à l’album de Thom Yorke. Les quatre derniers titres montrent un autre visage du songwriter, et réssucitent les ballades de Nick Drake, modernisées par quelques sifflements ou quelques pincements de cordes de violons (“Cataracts”, “Scythian Empires”). L’instrumentation plus épurée met en valeur la voix exceptionnelle du chanteur, bientôt secondé par une voix féminine sur un refrain d’une grande intensité (“Spare Ohs”). L’univers d’Andrew Bird, qu’on a déjà connu plus trucculent, se referme en toute discrétion sur une plage instrumentale de cordes.

A l’image de sa pochette, Armchair Apocrypha sait faire cohabiter les couleurs les plus vivaces et le noir le plus profond. Si sa musique perd un peu en efficacité, ce septième album parvient, avec brio, à élargir un peu plus le spectre musical de ce touche-à-tout.

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