C’est un combo légendaire dont beaucoup auraient préféré qu’il ne soit jamais déterré, moi y compris. Et puis on a posé une oreille dessus… Les Stooges en 2007 publient leur quatrième album. Lâchez les fauves.


« Je suis sûr que le fait d’être constamment exposé aux amplis et aux guitares électriques et d’entendre ma propre voix amplifiée a modifié l’alchimie de mon corps, dans lequel, après tout, réside la vie. Souvent, j’essaie d’analyser les raisons pour lesquelles je fais ce que je fais – travailler avec les guitares électriques, des batteries et chanter. Où est-ce que je veux en venir ? Je me sens lié à ce truc par un cordon ombilical, à tel point que le processus est de loin plus important que le résultat. La proximité du bourdonnement électrique en arrière-plan et cet incroyable sentiment de bouillonnement et de puissance, tu vois. Quand tu commences à cohabiter avec cette puissance, tu deviens son témoin ».

Qui d’autre qu’Iggy Pop pouvait synthétiser cette état viscéral du corps aliéné conducteur d’électricité ? Iggy Pop l’a écrit mieux que quiconque dans son autobiographie I Need More, témoignage ultime punk (du moins ex aequo avec Mort aux Ramones de… Dee Dee Ramone). A la lumière de ces lignes, la reformation des Stooges prend alors tout son sens. Le fracas des amplis ricochant sur les tissus nerveux d’Iggy Pop lui fournit l’adrénaline absolue, peu importe le résultat. Il serait presque inutile de disserter davantage.

Un nouvel album des Stooges, 34 ans après leur séparation dans la précarité et l’indifférence totale, est-ce bien raisonnable ? Mais en y regardant de plus près, Iggy Pop a-t-il été un jour raisonnable ? Certes, on peut argumenter, s’asseoir autour d’une table, passer des nuits entières à peser le pour et le contre : oui les Stooges sont devenus légendaires, non ce disque n’a aucun sens, oui Scott Asheton ressemble à Jack Black en vieux…. Certains fans n’écouteront probablement jamais l’album, et on peut comprendre cette position. Mais tout de même, sachez que ce serait dommage, car The Weirdness, sans égaler ses fulgurances historiques passées, est on ne peut plus digne.

Ron Asheton (guitare, 59 ans ), Scott « rock action » Asheton (batterie, 58 ans) et Jim Osterberg aka Iggy Pop (survivant, 60 ans le mois prochain) ont donc décidé de rempiler. Paraîtrait-il, Ron Asheton harcèle au téléphone le manager d’Iggy pop depuis 1989. « L’idiot » (ainsi le surnommait Lou Reed) aurait finalement cédé. En 2003, Skull Ring, énième album insipide du Pop révèle trois morceaux inédits des Stooges, comestibles mais sans plus. Le gang reformé, il s’en suit une tournée mondiale marathon de plus d’une centaine de dates qui continue encore aujourd’hui. Les Stooges de leur vivant n’en auraient jamais fait autant. A l’heure fatidique de rentrer en studio, c’est finalement Steve Albini (Nirvana, Pixies) qui sera retenu au poste de producteur contre Rick Rubin, qui avait pourtant manifesté son vif intérêt pour la chose, mais pour des raisons financières évidentes a été écarté. Dave Alexander, bassiste disparu en 1975 dans des conditions misérables, est remplacé par Mike Watt (Ex Minutemen et Porno For Pyros).

Brut de décoffrage, The Weirdness s’inscrit dans la lignée furieuse des deux premiers albums The Stooges et Fun House. La sophistication – en comparaison des opus précédents, on s’entend bien là-dessus – et la variété de Raw Power ne sont pas d’actualité, bien que le souci du produit fini soit plus marqué que sur les deux premiers albums (l’expérience, peut-être ?). Bien sûr, il s’agit ici d’un empilement de riffs, trois accords au mieux, tournés et retournés dans tous les sens jusqu’à ce qu’ils soient transcendés. Mais dieu que c’est bon ! “Trollin’”, décadent à souhait, nous procure l’aisance d’arpenter une rue comme si l’on se prenait pour le roi Jack Nicholson. C’est évident, les Stooges nous procurent une assurance stupide et tellement galvanisante. De l’essence rock à l’état pur.

Si les premières écoutes de The Weirdness pourraient d’ailleurs laisser entendre un disque brouillon, c’est là que réside tout l’art pernicieux des Stooges. Pour exemple, “Idea Of Fun” avec son riff qui dévale le manche à la “I Wanna Be Your Dog”, semble avoir été torché la veille, mais est rôdé depuis trois ans sur scène. Cette sensation d’être à deux doigts du désastre, les Stooges en sont passés maîtres, c’est ce qui rend leur musique si addictive et dangereuse. La puissance qui naît de ce chaos métallique a conservé toute son aura captivante. Les doigts potelés de Scott Asheton n’ont pas perdu ce sens aigu du riff assassin et dynamitent les croches à coup de médiator. C’est presque miraculeux sur “Idea of Fun” et “ATM”, encore un riff crétin qui pilonne le cerveau. “Free and Freaky”, un peu plus présentable (on entend un saxophone et des choeurs) convoque leurs éternels alter ego, le MC5. L’Iguane est quant à lui dans une forme resplendissante, son corps cambré, de plus en plus sec et transpercé par les veines de la vieillesse, est le prolongement définitif de sa voix. Et pourtant, il conserve toujours les intonations vocales d’un gosse de 15 ans. Ses portraits de loosers calamiteux ont, au contact sauvage des frères Asheton, enfin leur revanche (“The End of Christianity”, “Idea Of Fun” et son refrain de Serial Killer).

Encore une fois, il faut saluer le travail de Steve Albini, qui a réussi à capter ce grain de distorsion (et de folie) quasi parfait. Des guitares agressives, crades au possible, sans effet de surcompression Metal illusoire (chose qui n’aurait peut-être été envisageable avec Rubin et ses antécédents metalleux). Les fûts de Rock Action n’ont jamais autant tremblé, lui apte à perforer les tympans d’un mammouth avec sa grosse caisse mastodonte. Et puis il y a la basse, pratiquement inexistante, à croire que Mike Watt est seulement là pour combler l’espace vide sur scène (et bien qu’Iggy Pop à lui seul s’en charge très bien, d’occuper l’espace). Mais rétrospectivement, à l’exception de “Dirt”, la quatre-corde a toujours eu un rôle ingrat dans la musique du combo d’Ann Arbor. Rétablissons la vérité, les frères Asheton sont fondalement une section rythmique. Peut-être la section rythmique rock ultime.

Seul répit à ce vacarme dissonnant, “The Weirdness” une ballade dont la ligne d’accords tangue jusqu’à nous donner le malaise, avec en sus un Iggy Pop en crooner poivrot magnifique. Fantastique dans son numéro de Bowie. On regrette que l’intensité retombe sur la fin, mais les sept premiers morceaux font honneur à la légende. Et puis finalement, Fun House n’en contenait que sept aussi…

– Le site officiel d’Iggy Pop & The Stooges.