Veuillez lire la notice d’intruction avant l’écoute. Ce disque est fortement déconseillé aux personnes souffrant de dépression.


On peut dire qu’en vingt ans, le rap a considérablement évolué. En bien ou en mal, les avis sont partagés. Accordons-nous sur le fait qu’il a eu en effet une tendance récente plutôt bling bling, aux signes extérieurs de richesse ostentatoires, sans parler de la publicité ouverte et discutable sur le sexe facile et le gangster érigé en héros des temps modernes. Les marchands de produits de luxe et piscines ont dû « s’en fourrer jusque-là » comme chantaient jadis nos Bronzés.

A côté de ça, il ne faut pas généraliser non plus, il y a eu de très bonnes choses. Même si on ne peut pas toujours acquiescer à tout ce qu’ils font, des personnalités comme Snoop Dogg, Jay Z, Dr Dre ou Pharrell ont largement popularisé le hip hop, lui offrant ses lettres de popularité bien au delà des principaux intéressés originaux. « Quel talent » comme dirait l’autre, de voir les blancs-becs, les bourgeois, les m’as-tu-vu afficher, eux-aussi, le rap comme valeur culturelle ultime.

Le hip hop, à l’origine, et certains comme Dälek qui en portent aujourd’hui clairement l’étendard, est avant tout un moyen artistique de dénoncer l’injustice, le racisme et « tout ce qui s’en suit ». Contrairement aux artistes cités ci-avant, auxquels on aurait pu ajouter les mecs à part que sont les Beastie boys, on ne rigole pas ici. Depuis Absence, son précedent opus, on peut même dire de moins en moins. Non, ici, tel Public Enemy, on dénonce (la présence de Rob Swift vient renforcer cette impression). Et chez Dälek, non seulement ça ne rigole pas, mais il y a de quoi mener au suicide un dépressif tant il joint le geste à la parole. Dans un décorum des plus noirs, s’inspirant pas mal de My Bloody Valentine mais aussi de « Insane in the Brain » Cypress Hill ou de Tricky, et allant jusqu’à puiser dans la musique contemporaine angoissante d’un Ligeti sur « Lynch » (maintes fois utilisée par Kubrick – Eyes wide shut et 2001 l’odyssée de l’espace en tête), on ne peut pas dire que le bonhomme fait dans la joie et la bonne humeur. Loin des sentiers commerciaux (y compris les habitués du genre qui ne vont pas forcément accrocher aux intermèdes anxiogènes à la Ligeti), on n’hésite pas à proposer des titres longs, très longs même, limite prise de tête (que l’on présente avec fierté comme Lynchéens), d’un monde en déconfiture totale avec pour seule issue l’asphyxie ou la démence.

Pour aller jusqu’au bout de cette ambiance anxiogène, sur « Tarnished » on n’hésite pas à donner l’impression que le titre a été enregistré dans une salle de torture, un sac en jute autour de la tête d’un des MC. Les choeurs masculins n’arrangent rien à l’affaire, les incursions classiques ou jazz de l’avant-guerre (« Content to Play Villain ») non plus (encore une fois, pour rester avec Kubrick, on pense à la scène de Jack Nicholson au bar dans Shining). Même lorsqu’un cuivre s’invite (« Starved for Truth »), c’est pour donner dans un free jazz des plus énervants. Pas étonnant que Dälek soit hébergé chez ce givré de Mike Patton, pour qui la musique doit être avant tout une expérience pour le corps et l’esprit. Alors que certains médecins s’évertuent à démontrer les bienfaits thérapeutiques de la musique, Ipecac tente de les contredire.

Pour finir, malgré une production raffinée et quelques trouvailles innovantes, on peut lui reprocher cette atmosphère apocalyptique à même de limiter fortement les occasions d’écouter le disque.

– La page Myspace de Dälek.