Sur fond de folk songs écorchées pigmentées d’effets électro tordus, le dernier projet en date d’un des sauvageons de Wolf Parade. Lumineux.


Lorsque Wolf Parade s’impose en 2004 avec son fulgurant premier album Apologies to Queen Mary, nous étions loin d’imaginer que cette formation rock canadienne dissimulait en son corps d’étranges embryons capables d’excroissances spectaculaires n’ayant rien à envier aux créatures de Katsuhiro Ōtomo (Akira). A l’origine de ces sublimes capharnaüms sensoriels, les deux chanteurs/guitaristes Dan Boeckner et Spencer Krug, dont les égos artistiques dépassent largement le cadre d’un seul groupe. Qu’on ne s’y trompe pas, ces escapades hors de la meute Wolf Parade sont bien loin de ressembler à des caprices insipides pour artistes en mal de reconnaissance solo.
L’affaire a commencé avec l’hyper actif Spencer Krug, instigateur l’an dernier de Sunset Rubdown, délirium psyché folk aux envolées biscornues, sans oublier Swan Lake, autre bête difforme à trois têtes comprenant celles de Carey Mercer (Frog Eyes) et Dan Bejar (Destroyer). Quand à Dan Boeckner qui se faisait plutôt discret jusqu’ici (seulement une contribution sur le premier album des excellents Islands), l’autre voix de Wolf Parade démontre à son tour des aptitudes d’ouverture surprenantes avec Handsome Furs, son projet intimiste mené avec sa fiancée Alexei Perry.

En vérité, Handsome Furs a démarré comme un passe-temps lors d’un dimanche après-midi pluvieux sous le ciel de Vancouver. Coincés à la maison, certains jouent au Monopoly ou au baggamon, le couple Boeckner/Perry préfère s’amuser sur une boite à rythme archaïque et quelques claviers aussi dépassés. Rien n’éclot vraiment de ces bidouillages ludiques, mais le duo prend plaisir à martyriser leurs instruments. Si bien que lorsqu’une étrange proposition de tournée en Scandinavie se présente à eux, ils n’ont même pas une seule chanson dans leurs tiroirs. Qu’à cela ne tienne, le caractère décharné et innocent de leurs divagations soniques révèle une intrigante singularité qui mérite d’être étudiée. Après avoir embrayé une tournée avec Modest Mouse (l’allumé Isaac Broke, leader de la formation et flair sensible, avait fait signer les Shins et Wolf Parade chez Sub Pop), Handsome Furs s’attèle enfin en décembre à l’enregistrement de son premier album dans le studio montréalais de Wolf Parade, Mount Zoomer.

Disque saccadé et rachitique, Plague Park pourrait passer, au détour d’un téléchargement sauvage sur la Toile, pour des inédits de Wolf Parade restés au stade d’ébauche. A un détail près, ce sont des compositions solides. Au revers de collages modernistes de bon aloi, cette « belle fourrure » dévoile incontestablement des détails de finition mélodique. Si le radicalisme bruitiste des Liars (“Dumb Animals”) et la lourdeur métaphysique de Sunn0))) sont revendiqués comme influence par le duo mixte, Plague Park se révèle plutôt grâce à son songwriting habité, traversé par la voix désoeuvrée et étranglée de Dan Boeckner. Car publiquement affiché en tant que duo, Handsome Furs trahit d’évidence l’exutoire torturé d’un seul homme. De “Dead + Rural”, fronde épique sur fond de synthétiseur de poche jusqu’aux arpèges ténébreux de “What We Had”, Boeckner omniprésent marque son empreinte, compose, chante et tiraille guitares et claviers. Alexei Perry apporte quant à elle une petite touche Riottt Girl à l’ensemble via quelques programmations et bruitages fantaisistes. L’alliance fournit quelques belles intrigues tel “Sing ! Captain”, chant de marin giflé par des effluves shoegazer, ou le poignant épilogue cyberfolk “The Radio’s Hot Sun”. En dernier rappel, le batteur de Wolf Parade Arlen Thomson vient de temps à autres consolider l’édifice.

Disque court – seulement neuf titres – exécuté sous le sceau d’un militantisme lo-fi, Plague Park se veut en définitive un recueil de chansons attachantes, tant par son caractère bidouillé que pour les réprobations intimes de Dan Boeckner. Un marginal capable d’excès exquis.

– La page Myspace d’Handsome Furs

– Handsome Furs sur le site de Sub Pop