Le folk non domestiqué de cette garçonne s’ouvre un peu sur ce premier essai enregistré dans des conditions studio décentes. L’aura mystérieuse perdure.
Notre relation avec Jana Hunter a commencé sur un imbroglio pour le moins ambigu. Les présentations ont été faites en 2004 via son plus fervent admirateur et ami, Devandra Banhart, mystico-barbu de son état. Le garçon nous avait un peu forcé la main à l’égard de sa protégée sur sa compilation Golden Apples Of The Sun, puis avait entrepris la cohabitation sur le split 33t Devendra Banhart/Jana Hunter. Peu d’informations filtraient autour de ce nom peu commun auquel la coqueluche folk du moment concédait à partager une face entière de l’album. Très vite, on a baissé la garde. Cette poignée de folk songs recluses, monstres, faisaient jeu égal avec ceux de la barbe en poupe du sieur Banhart. De quelle planète pouvait bien provenir cette voix asexuée murmurée dans une boîte à chaussures et qui semait le trouble dans notre esprit ? Garçon ? Fille ? A l’exception d’une photo sur le livret montrant une allure de garçon manqué androgyne, le doute persistait.
Sans percer totalement son mystère, le voile s’est levé en apprenant que cette texane (finalement) était la cinquième d’une portée de neuf frères et sœurs. Forcément, tout s’éclaire : lorsqu’on est membre d’une tribu familiale pareille, on aspire un peu à l’isolement. Adhérer à l’orthodoxie folk devient alors un exutoire inespéré.
Blank Unstaring Heirs of Doom (2005), première sortie du label Gnomonsong (fondé par Banhart et Andy Cabic) était une compilation de 13 folk songs rachitiques accumulées durant dix ans. There’s no Home, second opus et véritable premier album studio, emprunte un processus de création radicalement inverse. Du temps de ces démos enregistrées en autarcie sur un quatre pistes prêt à rendre l’âme, le caractère décharné de la chose ne faisait qu’accentuer cette impression de présence d’outre-tombe. Cette fois, les sessions d’enregistrement se sont écoulées sur une période de temps luxueuse – toute proportion gardée – de deux semaines. Hunter compose et joue toujours, pratiquement sur tous les morceaux, mais a aussi formé une petite famille musicale, entourée de son frère John (basse, chant) et quelques obscurs intervenants de la secte acid folk underground, enrôlés ou incrustés – on ne sait jamais vraiment avec ces babas-là (John Adams des Fatal Flying Guilloteens et Matt Brownlie de Bring Back the Guns).
Jana Hunter continue sur There’s No Home de tordre son jeu de cordes en nylon, mais prône l’ouverture. Par le passé introvertie, voire hostile, sa voix, désormais identifiée, n’hésite pas à faire le premier pas (“ Babies” ou la berceuse “Sirens”, tendance « freak pop maternel », dirons-nous). Ces morceaux gagnent aussi en espace, mais paraissent à la fois plus vides et dévastés. Etrange sensation. La liberté d’action, avec si peu de moyens, est insolente : on passe des interludes dans un aquarium (“Guitar”) au flamenco trash (“Vultures”), de l’éclaircie de groupe “Oracle” à l’aliénation abyssale “Pinnacle”, improvisation de chaman terrifiante piquée à Ben Chasny.
Bien sûr, ces vagabondages ont pour dénominateur commun un folk centenaire. Ces frettes de guitares sont tellement creusées que l’on prendrait des échardes à trop s’y frotter. Pourtant, derrière cette écorce rude se trame une tragédie inédite, un élément tordu qui pourrit de l’intérieur ses chansons et les rend incroyablement pesantes, troublantes. Comme sur “Recess”, simplement conduit par une guitare électrique raclée et un kit amputé de batterie, une lenteur moite s’installe, prend à la gorge et provoque le même malaise que la Chan Marshall de la première heure. Ces folk songs semblent être là depuis la nuit des temps – peut-être déjà mortes d’ailleurs – mais s’imprègnent inéluctablement en nous.
Jana Hunter sur Myspace