Jason Glasser, sur le deuxième album de Fruitkey, pervertit la country et lui présente la pop idiote. Résultat, un disque foutraque et génial, décomplexé et totalement irrévérencieux.


Jason Glasser s’est fait connaître en France au sein de Clem Snide. Mais ce que l’on sait moins, c’est qu’il n’est pas seulement un musicien talentueux, maîtrisant le folk poli à la perfection. Jason Glasser est avant tout un artiste protéiforme, musicien accompli, plasticien émérite, maniant aussi bien la guitare que le pinceau, le micro que la caméra. Fruitkey est son projet musical français, puisqu’hébergé chez le très prometteur label T-Rec (Versari, Sloy, Zone Libre, Tue-Loup…). Chevaline est le deuxième album sous cette identité, deux ans après Beauty Is, un album ambitieux et aventureux. Fruitkey permet à Jason Glasser de réunir autour de lui la fine fleur de T-Rec, soit Jean-Charles Versari (le boss) à la guitare, Cyril Bilbeaud (l’autre boss) aux fûts, Stéphane Mallavergne aux claviers, Brice Pirotais à la basse et Sophie Mathoulin aux voix (activité partagée avec l’ensemble du groupe).
Avec un tel curriculum vitae pour son auteur et un tel casting, Chevaline ne peut que susciter un intérêt majeur. Et force est d’admettre que voilà bien un disque (d)étonnant, déroutant. Fruitkey décide de prendre le taureau par les cornes pour désarçonner la country, lui infliger une bonne cure de décontraction.

C’est bien connu, qui aime bien charrie bien. Faut-il l’aimer, la country, pour lui proposer de frotter ses bottes à la pop décomplexée et psychédélique. Faut-il la respecter pour la parer d’atours aussi colorés et énergisants. Faut-il la béatifier pour l’imaginer dans d’autres bras. Jason Glasser semble vouer à la country un culte débordant, mais en rien servile. Il décide de lui refaire une jeunesse. Non pas pour la rendre plus fréquentable, mais parce qu’il en connaît les moindres recoins et qu’il veut, dans un esprit feng shui, bouger les meubles pour se déplacer dans un environnement familial plein de surprises.

Et le relookage est tellement réussi que l’on a parfois du mal à reconnaître cette vieille dame un peu acariâtre. Si toutes les compositions ne rappellent pas immédiatement l’Oklahoma (dont Jason Glasser n’est absolument pas natif au demeurant), la country est omniprésente dans cet album. Alors bien sûr, son faux frère ennemi, le folk, se sert une bonne grosse part du gâteau. Des titres comme « Competition » ou « 73 Wounded Knee » auraient pu êre composés par Jason Molina. Seulement, il y a toujours un petit truc genre hand-claps, un gimmick ou un refrain qui nous replace immédiatement le brin de paille aux lèvres. Ailleurs, « Funny Friend » démarre sur un clavier comme on en a beaucoup entendu du côté de Modesto, mais la chanson est une bonne vieille rengaine country dans son jus, un peu la bande originale imaginée du roman Ne Tirez Pas Sur L’Oiseau Moqueur de Harper Lee, la même légèreté de ton dans la gravité de l’ambiance. Même sanction pour le bourru « Birdhouse » ou l’éthylique « Hand In The Dark ».

Le single incontestable de Chevaline est « White Steeple », un titre qu’un autre Jason (ni Glasser, ni Molina, il ne reste donc que celui de Modesto, Jason Lytle de Grandaddy) doit encore rêver de composer. La ligne mélodique du duo synthé-flûte, la rythmique appuyée, le chant altier et à pleins poumons, les choeurs endormis font de ce morceau un tube, le morceau que vous écouterez sur la route de la plage, puis sur le sable, puis en revenant de la baignade, et enfin sur le chemin du retour de la plage. Ce morceau est un bonheur 100% naturel garanti sans OGM. Le dealer est barré, mais il est clean.
Avec une telle faim de découvertes artistiques, un titre comme « I Have Known Love » ne surprend même pas dans ce disque organique. Sa basse tirée des années 80, sa voix en retrait, son chant lancinant, tout nous rappelle à la new wave, mais une new wave enjouée. C’est un peu l’avènement de la «country-wave» en quelque sorte.

Voilà donc un disque jovial, qui ne se prend pas au sérieux une seule seconde. Son géniteur est tellement intelligent et malicieux qu’il avance masqué en super héros de pacotille (celui qui bombe le torse sur le dos de l’album), un héros qui cache un super-musicien, un bat-compositeur et un spider-chanteur. Et Chevaline de devenir assurément un des disques de l’été, de ces disques que l’on peut écouter avec les enfants ou avec quelques bières derrière le débardeur. Le T-bone parfait.

– Le site de Fruitkey qui propose un voyage dans l’univers fascinant de Jason Glasser

– Son Myspace

– Le site de T-Rec