Mike Andrews est un musicien insaisissable. Derrière son faux air d’étudiant bien sage en physique nucléaire – chemise à carreaux et paire de lunettes à l’appui – ce laborantin du son étudie le pluralisme artistique sans étiquette : compositeur de musique de film (Donnie Darko), guitariste de jazz (au sein de Greyboy All Stars) producteur (Inara George, Metric) et aujourd’hui retour à la case songwriter barré via le formidable Hand on String. Un disque psychédélique, solaire, empli de beauté surannée et érudit. Pour sa première date parisienne, en première partie d’Emily Haines, le Californien nous aide gentiment à démêler son parcours pour le moins foisonnant.


Mike Andrews : Au départ, j’ai changé mon nom dans le cadre de Greyboy All Stars. C’était un nom fictif, Elgin Park, censé symboliser mon rôle de guitariste au sein du groupe. Puis, j’ai aussi monté un groupe qui s’appelait Elgin Park, on a enregistré un album sous ce nom. Malheureusement, nous n’avons jamais tourné en Europe pour défendre l’album, on a fait quelques dates aux Etats-Unis, puis j’ai commencé à être accaparé par les musiques de films, et tout ces projets sont tombés à l’eau.

Pinkushion : A partir de là, tu as commencé à être reconnu en tant que compositeur de musiques de film.

« Reconnu », oui, en quelque sorte. Je suis dorénavant plus connu pour mon travail sur les musiques de film. Tout ceci est un peu confus à comprendre, mais j’ai toujours été impliqué dans plusieurs activités ou projets, que ce soit en tant que guitariste Elgin Park ou bien pour la B.O de Donnie Darko

Composer des musiques de film, c’était un accident de parcours ?

En quelque sorte, mais je ne dirais pas que c’était complètement un accident. L’accident implique que les évènements interviennent sans raison. Chance serait un mot plus approprié. Grey Boy All Stars était un groupe de jazz instrumental. Un jour, une personne qui était fan de notre musique nous a contactés pour savoir si nous étions intéressés pour composer une musique de film. A partir de là, j’ai gardé le contact avec cette personne et commencé à travailler sous mon patronyme avec la série télévisée Freaks ans Geeks (1999).

La condition de compositeur paraît bien différente de celle du songwriter. La musique de film est un créneau bien plus rentable.

Pas nécessairement, mais je pense que ce qui se passe c’est que, pendant longtemps, ma carrière a été très disparate. Lorsque j’étais dans un période de récession d’un côté, de l’autre tout marchait bien. Il y a dix ans, je jouais avec Grey Boy All Stars devant mille personnes et tout allait bien, mais je n’avais pas de carrière dans le cinéma. Puis ma carrière de compositeur de musique de film a commencé quand celle du groupe marchait moins bien. Même avant Grey Boy All Stars, j’avais déjà une carrière de songwriter chez Virgin, avec deux albums derrière moi. Les choses viennent avec le temps… certaines choses demandent plus d’attention de la part du public, mais je n’ai jamais vraiment connu de vide, cela reste étrangement équilibré. Qui sait un jour si les deux ne fonctionneront pas en même temps ? Tout peut arriver. (rires)

Quel est selon toi l’approche de composition la plus difficile, écrire des chansons ou des musiques de film ?

Ce n’est pas si différent que ça. Je veux dire par là que tout dépend si tu as une idée que tu parviens à développer. Pour moi, le processus est similaire. Le temps que je mets à travailler sur tous mes instruments, c’est la même chose pour mes disques. C’est comme si je cuisinais, en fait. J’ai mon propre studio, ce qui est plutôt pratique car je passe un temps conséquent à travailler dedans, y compris pour les musiques de film. A l’exception des parties orchestrales, j’écris et enregistre tout chez moi.

Finalement, tu as un parcours plutôt inhabituel dans ce milieu en cumulant ces deux positions et celle de producteur. Je ne vois personne à la carrière similaire, à l’exception de Jon Brion.

Oui, nous sommes d’ailleurs amis. C’est certain, nous avons des points communs, sauf qu’il est un peu plus vieux que moi. (ndlr : réflexion) Il doit bien y avoir quelque autres musiciens présentant les mêmes caractéristiques ? Brian Eno ou Daniel Lanois, T. Bone Burnett

Tout à fait, mais c’est une autre génération. Et musicalement, Brion est plus proche de ton univers.

Oui, probablement. Nous avons tous les deux une sorte d’obsession pour les sixties (rires).

Mike Andrews, juin 2007 à la Maroquinerie

Hand on string est ton premier album sous ton propre nom. Pourquoi as-tu attendu si longtemps ?

Et encore ! Hand on String devait être au départ le nom d’un nouveau projet. A vrai dire, je ne sais pas, certaines personnes disent que je suis un lâche (rires). Quand tu mets ton nom en avant, cela peut être un signe de vulnérabilité, et je suppose que j’ai essayé jusqu’ici de me protéger de… tout.

Cela pourrait aussi traduire une oeuvre plus « personnelle ».

Oui ! C’est l’autre aspect de la chose. S’il devait y avoir un disque qui représente mon nom, c’est celui-là, définitivement. C’est vraiment un disque personnel.

Hand on string est un disque très délicat et à la fois mystérieux. On pense beaucoup à la musique des années 60, des disques psychédéliques tels que Song Cycle de Van Dyke Parks ou encore Forever Changes de Love.

J’adore Van Dyke Parks, il est incroyable. Honnêtement, c’est mon univers. Je ne prête pas beaucoup d’attention à la musique moderne. Je ne suis pas trop ce qui se passe – à l’exception peut-être de ce que j’aime bien. Toute la musique que j’écoute vient de cette période. Je suis si familier avec que pour moi ma musique ne sonne pas ainsi.

Désolé s’il y a confusion. Je n’ai pas dit que ta musique ressemble à Sound Cycle, mais plutôt qu’elle est habitée par le même esprit.

Oui, je le pense aussi. C’est là où l’esprit de la musique était encore en vie. Je suis un peu trop enthousiaste avec cette période.

On ressent aussi cette empreinte sixties sur les textures électroniques, en harmonie avec la musique.

Je voulais avant tout sonner chaleureux et humain. Même si c’est électronique, cela pourrait être réel. Je n’ai pas envie de refléter combien le monde est froid et moderne. Il est juste question de servir la chanson au mieux.

Tu es également amateur éclairé de bossa nova, dont on retrouve quelques couleurs sur cet album, notamment l’influence revendiquée de Nilton Nascimento. Qu’est-ce qui t’attire dans cette musique ?

L’album de Nilton Nascimento dont je me revendique, c’est Clube de Esquina. Ce qui est intéressant dans la Bossa Nova – ou n’importe quel mouvement tropical de l’époque – c’est cet esprit rock’n’roll injecté à la musique brésilienne. C’est un genre devenu progressivement expérimental – j’aime beaucoup la musique expérimentale – bien que ce soit interprété avec du coeur, elle reste très émotionnelle. Il y a un équilibre délicat à respecter entre deux sensibilités. (Silence). Je ne sais pas, c’est juste de la musique, j’aime l’écouter et décrypter chaque élément, les progressions d’accords sont magnifiques aussi. Je ne comprends rien aux paroles, mais la façon dont il chante et ce qu’il ressent, c’est superbe. L’album de Milton dont je parlais est particulièrement magnifique.

C’est un album des années 60 ?

Probablement (il s’esclaffe de rire). En fait, ce serait plutôt le début des années 70 (ndlr : 1972). Il y a aussi beaucoup d’excellents albums sortis à cette période. Une période où le folk, le jazz et le rock psychédélique fusionnaient ensemble. Tu obtenais une palette colorée d’harmonies, avec un petit peu de funk. Les gens étaient « fucking jaded ». Tu comprends ce que ça veut dire ? Il n’y avait pas d’ironie, de… (silence)

Cynisme ?

Exactement. Les gens étaient encore naïfs, ils pensaient qu’écrire une chanson était toujours une chose importante, un moyen de communiquer. Aujourd’hui, les gens sont très négatifs, cyniques, tout est imbibé d’ironie. Si quelque chose doit être positif, on l’exprime comme si c’était une blague. Ou bien si c’est triste, ça l’est, mais sous le saut de la plaisanterie. Aux Etats-Unis, c’est particulièrement troublant.

C’est marrant. Je trouve personnellement que c’est le contraire. Aux Etats-Unis, les musiciens semblent plus impliqués dans l’émotion, tandis qu’en Europe, le style prime toujours un peu.

Peut-être que je me trompe. Je pense que la seule manière d’atteindre les gens, c’est de s’ouvrir et devenir vulnérable.

La chanteuse Inara George est aussi créditée sur l’album où elle a co-écrit une chanson.

Oui, elle m’a donné un coup de main sur le morceau “Love is Tired”. J’ai produit et co-écrit son premier album. C’est une très bonne amie, et maintenant elle joue avec The Bird and The Bee, qui commence à beaucoup faire parler de lui (ndlr : ils ont signé chez Blue Note).

Il y a aussi d’ailleurs Greg Kurstin de The Bird and The Bee qui joue sur ton album. Je suis assez curieux, car il semble que vous formez une petite entité, une sorte de communauté musicale où vous échangez vos expériences.

Certainement, c’est la meilleure chose à faire lorsqu’on est musicien. Je suis actuellement en tournée avec Emily Haines parce que j’ai produit le premier album de Metric, Old World underground… . Nous sommes un petit groupe d’amis, et il faut jouer avec ses amis.

Tu vas bientôt produire le prochain album d’Inara George, avec notamment Van Dyke Parks aux arrangements de cordes. Ça doit être pour toi un rêve qui devient réalité.

Oh Oui. En réalité, nous avons déjà travaillé ensemble sur un film, et j’ai aussi écrit une chanson avec lui, on l’a enregistrée, magnifique expérience. Il est tellement génial.

Sur quel film ?

Un film qui s’appelle Walk hard avec John C. Reilly (ndlr : actuellement en production, Jack White est censé y faire un cameo en sosie d’Elvis Presley). J’ai composé une chanson dans l’esprit Beach Boys, Smile, et Van Dyke Parks a écrit les arrangements dessus. C’est vraiment un mec incroyable, très poétique, le Stravinsky de la pop. Il a inventé tellement de choses. On en a un peu parlé de Song Cycle durant l’enregistrement, mais le simple fait de composer en sa compagnie, tu apprends beaucoup de choses sur le processus et certaines de ses techniques. C’est vraiment quelqu’un qui bosse dur.

Peux-tu enfin, me donner tes cinq albums favoris de tous les temps ?

Ciel, il y en a tellement :

Joni MitchellBlue

Van Dyke ParksSong Cycle

Nilton NascimentoClube de Aesquina

Neil Young – First album

Gabor SzaboBachanal

– Le site de Mike Andrews

– Lire également la chronique d’Hand on String

Crédit photo Pascal Amoyel