Second album seulement de cette fébrile formation pop US et déjà, The Broken String fait figure de best of avant l’heure. Explications.


Dans la petite famille bigarrée de l’indie pop, on recense deux écoles antagonistes de songwriting qui ont chacune fait leurs preuves. D’un côté, nous avons les chasseurs de papillons, tels Robert Wyatt ou Mark Linkous, dont l’art consiste à attendre patiemment qu’une chanson se pose au-dessus de leur tête pour l’attraper dans un filet. Sans astreinte de temps, guetter le morceau rare peut ici prendre des mois, voire des années. Aux antipodes, nous avons les ultra prolifiques Joseph Arthur ou Robert Pollard, dont la cadence créative semble tout droit inspirée du bon vieux modèle à la chaîne des usines Ford. Bishop Allen fait une entrée fracassante dans cette seconde catégorie.

Si ce nom ne vous dit rien, Charm School, le premier album de cette vigoureuse formation de Brooklyn sorti en 2003 avait déjà décroché 4 étoiles chez Rolling Stone US. Retournés à leurs études à Harvard par la suite, ils nous sont revenus l’année dernière avec un projet rocambolesque intitulé The EP Project : composer, enregistrer et distribuer par leurs propres moyens un EP 4 titres chaque mois, ce durant toute l’année 2006. Et ces cintrés s’y sont tenus, soit 58 compositions originales accouchées entre janvier et décembre. L’exploit marathonien n’est pas sans rappeler celui des Magnetic Fields et leurs 69 Lovesongs. L’histoire nous a d’ailleurs montré qu’on ne sort pas indemnes de ce genre d’expérience : huit ans après sa déclaration d’amour érotique, son leader Stephen Merrit, se remet tout juste au travail et annonce enfin un nouvel album pour l’année prochaine. Mais contrairement à Mr. « Cupidon » Merritt, Bishop Allen à un avantage de taille pour pallier à une éventuelle crise d’inspiration : la formation détient en son sein deux songwriters qui se partagent la tache, Justin Rice et Christian Rudder. Ces deux anciens camarades de chambre mordus de pop intemporelle composent à l’ancienne, dans la tradition des tandems mythiques McCartney/Lennon ou encore Forster/McLennan. Rice et Ludder vouent un amour immodéré pour la mélodie simple mais foudroyante.

The Broken String se veut ainsi un condensé des meilleurs moments de The EP Project : neuf titres ont été réenregistrés en studio, les trois autres sont des inédits de première bourre. Sans avoir goûté à la sève des EPs initiaux (seulement distribués sur leur site Internet), cette fine sélection démontre un talent certain d’écriture. Voilà une formation qui se veut chantre d’une pop à l’insouciance un brin bucolique, tel que l’affectionnait tant le regretté Grant Mc Lennan (l’haletant “Rain” n’aurait d’ailleurs pas dépareillé sur Spring Hill Fair) et les merveilleux Papas Fritas (le dénué de mauvaises ondes et instantané « Click, Click, Click, Click »). Si le quatuor a rassemblé de quoi remplir cinq albums en l’espace d’un an, il ne se contente pas d’enfiler les mélodies à la pelle. Bishop Allen sait aussi varier les teintes instrumentales avec goût : ainsi, la spectaculaire ouverture « The Monitor » stupéfait par son lyrisme évoquant les déserteurs de l’impossible, Mercury Rev. Autres tours de force, « Corazon » et ses guitares interstellaires nous propulsent littéralement sur orbite, lorsque « Fight 180 » et ses cordes virevoletantes nous font même carrément prendre le grand Huit. L’incursion vocale de Darbie Nowatka, membre intermittent du groupe, distille une touche féminine salutaire sur un « Butterfly Nets » immaculé. Ce qui est remarquable dans cette pop de facture instantanée, c’est que même lorsque l’épure est de mise, on découvre toujours un détail savant. Comme sur “The News From Your Bed”, pop song au piano simplement relayée par des choeurs fraternels, où se distingue en second plan un haut-bois caressant. Ne jamais sous-estimer ces chansons inoffensives, quelque chose d’inattendu vous rattrape toujours l’air de rien.

Insistons enfin sur le fait que The Broken string marque la naissance du label Dead Ocean, dernière excroissance de Secretly Canadian, au même titre que Jagjaguwar, qui entend se spécialiser sur les disques dits « intemporels, peu importe le genre ». Pour le coup, cette première association lève la barre très haut.

– Le site de Bishop Allen

– Le site du label Dead Oceans