Des guitares stridentes sonnent l’alerte tel un cortège de sirènes de pompiers avant le brasier. L’emblématique combo alternatif new-yorkais Les Savy Fav revient aux affaires, et pour de bon. Douze manifestes art-punk définitifs.


Depuis que Fugazi s’est déclaré en hiatus pour une durée indéterminée, un trou béant s’est installé sur la scène hardcore américaine. En ces temps obscurs où la Terre manque d’activistes punks intelligents et intègres (allez, on exagère, mais si peu…), le retour de Les Savy Fav tombe à point nommé. Formés en 1995, ces anciens étudiants en design de l’université de Rhode Island sont allés à bonne école, puisant leur inspiration chez leur farouche aîné de Chicago, la bande à Ian MacKaye. En outre, la très recommandable structure French Kiss Records, cofondée par le bassiste Syd Butler, leur garantit une liberté artistique totale.

Après trois albums confidentiels, 3/5 (1997), The Cat & The Cobra (1999), Go Forth (2001), une petite mythologie commence à se construire autour d’eux, alimentée par des concerts déconcertants, menés par leur chanteur exubérant et bien portant Tim Harrington (et sa fameuse barbe d’intégriste). Un parolier ambigu, drôlissime, maître du second degré. C’est pourtant en ce début de gloire que le combo décide de s’écarter du rituel « album, promo, tournée, repos, retour à la case studio… ». Inches (2004), impressionnante compilation de singles et 7inches (vendu avec un support dvd totalement barré) enregistrés entre 1998 et 2003, s’écoulera à plus de 100 000 exemplaires. Une jolie performance de la part de ces irréductibles qui ne doivent leur salut qu’au bouche à oreille.
L’engouement suscité va d’ailleurs au-delà de son public. Ainsi, lorsque la rumeur s’est répandue que Les Savy Fav rentrait en studio, une ribambelle de musiciens « enviables » se sont rués au portillon : Eleanor Friedberger (Fiery Furnaces), Joe Plummer (marteleur de Modest Mouse/The Black Heart Procession), Nicholas Thorburn (Islands/Unicorns), l’omniprésent Devandra Banhart, le trio Enon au complet ou encore Emily Haines de Metric apportent leur modeste contribution à l’édifice.

Pourquoi une telle unanimité rock autour d’un groupe catalogué hardcore ? Faisant fi des limitations du format binaire punk, Les Savy Fav cultive une sérieuse tendance à se jeter sans filet dans la dérivation rock expérimentale : ses guitares angulaires savent se taire pour laisser place à des expérimentations electro noisy (nuisibles ?), voire cannibaliser le krautrock – actes dont se souviendront d’ailleurs les jeunes Liars, cousins de banlieue.

Ce quatrième opus tant attendu six ans après le précédent Go Forth reprend les choses directement là où ils les avait laissées : au sommet de leur forme. D’emblée, il est étonnant de constater à quel point l’imprévisible Tim Harrington, tel un Mike Patton caméléon, est capable de piquer des colères monstres, pleurnicher ou chanter sur une mélodie ingénue avec une versatilité déconcertante. Et il s’y donne à coeur joie sur Let’s Stay Friends, un disque de rock névralgique où dissonance et mélodie se livrent un duel sans répit. Ceux qui ont découvert le groupe avec le phénoménal « The Sweat Descends », et son effet delay ravageur, ne seront pas déçus par ce nouvel amas de décibels.

Embarqué, notre quintet fait la nique à James Murphy (“Patty Lee”), érige un oppressant mur shoegazing sur “What Would Wolves Do”, vire Specials noisy sur “Brace Yourself”, ou flingue les Talking Heads sur “The Lowest Bitter” avec des cuivres enjoués. Tout ça en l’espace quasiment de trois plages successives. Même lors des frondes les plus hardcore comme sur “The Equestrian”, l’état de siège débouche in fine sur une accalmie salvatrice… comme si toute cette colère assénée était évacuée d’un jet, provoquant une sorte d’état extatique. C’est presque gênant à dire, mais une certaine candeur se dégage de cette rage, faisant écho au lointain Sufer Rosa des Pixies. Méfiez vous, ces révoltés-là sont définitivement plus malins qu’ils n’y paraissent.

– Le site de Frenchkiss Records

– Leur page Myspace