The Little Rabbits ont quitté la France il y a bien longtemps pour se réfugier dans les bras de Jim Waters. Ils reviennent aujourd’hui déguisés en cowboys français. La greffe est ambitieuse, mais elle prend.


Lassés de faire les lapins roses pour un public fidèle mais ténu, les Nantais ont traversé l’Atlantique en 1996 pour aller à la rencontre des gars de Calexico, chez eux, à Tucson, Arizona. Et le soleil a tapé fort sur le crâne dégarni du lapin en chef, Federico Pellegrini, puisque voilà déjà deux disques qu’il nous propose une relecture très personnelle de la musique de western. Après Bang !, l’essai planté sous le déguisement de Dillinger Girl And Baby Face Nelson en compagnie de la délicieuse Helena Noguerra, le chauve aux grandes oreilles des lapins bretons transforme avec ce disque pour lequel il a reserré la sélection, ne gardant que les cadres, soit les vieux potes Gaëtan Chataigner (basse), Stéphane Louvain (guitare) et Eric Pipeteau (batterie). Le résultat est Baby Face Nelson Was A French Cowboy, un hymne au folk-rock aride et mélodieux du désert arizonien. Mais pas seulement.

Une fois de plus chapeautés par leur mentor Jim Waters (il faut un bar à son nom à Tucson, impérativement), les émigrants volontaires délivrent 13 titres secs comme des triques, décharnés et douloureux. L’humour facile est définitivement enterré au pied d’un cactus (on en garde juste une louche pour le concept du disque), place ici à la noirceur des films de Sergio Leone frottée à l’univers de David Lynch. Dès “Stranger”, cette cavalcade fatiguée, ces chanteurs cuits, on sent le soleil brûler les cordes des guitares. Les amplis, eux, ont résisté à ces températures inhumaines, comme en atteste “Shake”, appuyée par sa guitare massive en embuscade, et sa basse énorme qui écrase tout sur son passage. C’est d’ailleurs à partir de ce moment que l’on comprend que Pellegrini et consorts sont partis pour mieux affirmer leurs origines.

Et de fait, bien plus que Calexico (qui sont davantage des amis que des références), c’est The Married Monk que nous rappelle French Cowboy, et pas seulement à cause d’une ressemblance troublante entre la voix traînante et nasillarde de Pellegrini et celle plus perverse de Christian Quermalet. Les atomes crochus sont plutôt à chercher du côté d’une curiosité insatiable sur tout ce qui peut apporter du caractère à une chanson, pour l’ôter assez rapidement de telle manière à ce que seule l’empreinte de l’influence reste. Ce disque semble viser à tendre un pont à sens unique entre Tucson et Nantes, le panneau de sens interdit planté plutôt de ce côté-ci de l’Atlantique.
La preuve avec “Happy As Can Be” et ses choeurs introductifs qui rappellent bien plus Depeche Mode que Roy Orbison, étrange croisement au demeurant, mais non dénué d’intérêt. Plus loin, on peut saisir l’influence de la coldwave la plus saignante sur “Supermarket” qui donne plus envie de faire ses courses par Internet que d’aller se frotter à ses voisins dans les rayons frais de l’hypermarché à côté.

Enfin, le concept initial, le titre du disque et la chanson “La Ballade De Baby Face Nelson” rendent un hommage appuyé et évident au Gainsbourg méchant et grandiose de Melody Nelson. C’est d’ailleurs, paradoxalement, le point faible du disque. Texte corrosif et provoc juste ce qu’il faut, chanson à plusieurs voix et interprétée par divers personnages, rythmiques mid tempo salace. L’hommage est malheureusement, trop fièrement assumé pour être définitivement crédible, en tout cas de la part d’un groupe au tel passé.

Nonobstant, Baby Face Nelson Was A French Cowboy est composé d’un nombre suffisant de (très) bonnes chansons pour nous faire oublier un tout petit peu ce gros bémol. Certains titres sont même impeccables une fois dénués de tout folklore. C’est quand la fine équipe se débarrasse de tics trop clinquants que leur folk devient limpide. “Leather Boots”, “Second Skin”, “Changes” ou “Puke”, pour ne citer que ceux-là, sont autant de brulôts que l’on croirait directement importés de là-bas. A se demander si les quatre salopards n’ont pas avalé leur green card, bien décidés à immerger corps et âme leur background musical européen (qui ferait saliver n’importe quel groupe postpubère) dans ce folk pourtant si estampillé made in USA.

Sous un costume un peu trop kitsch se cache finalement un très bon disque de folk-rock contemporain et bigarré, fait par des garçons qui maîtrisent parfaitement le langage et tous les codes du genre, n’hésitant pas à lui injecter quelques doses de musiques qui ont ensanglanté il y a peu le Vieux Continent. Mais attention toutefois à ne pas s’embringuer dans un style trop connoté. La grande force du Mustango (1996, coïncidence ?) de Murat – dans lequel on entend à peu près la même musique mais avec les membres de Calexico cette fois – tient aussi au fait qu’il s’agit d’un one-shot. Mais on sait Pellegrini et ses potes bien trop malins pour se contenter d’un remake, même réussi comme Baby Face Nelson Was A French Cowboy.

– Le MySpace de l’ouest