Troisième double album d’affilée, le Keith Jarrett annuel le voit retrouver pour la dix-huitième fois ses célèbres comparses, Gary Peacock à la contrebasse, Jack DeJohnette à la batterie, alors que ses deux disques précédents étaient marqués au sceau de la solitude. Enregistré en Juillet 2001 au festival de Montreux, trois mois après leur concert donné à Tokyo (passé à la postérité sur Always Let Me Go, sorti en 2002) et le même mois que celui livré à Munich (The Out-of-Towners, 2004), le virage volontiers récréatif My Foolish Heart dévoile un trio moins free et abstrait, axé plutôt sur l’efficacité et la puissance physique du swing. Un répertoire constitué essentiellement de standards l’asseoit dans la continuité du triptyque Standards 1 (1983), Standards 2 (1983), Standards Live (1985) et d’opus majeurs (Still Live, At The Deer Head Inn ou plus récemment Whisper Not) qui, forcément, invitent à la comparaison. A la légitime question quoi de nouveau sous le soleil jarrettien, de répondre cette fois-ci, faute d’autre chose a priori, le ragtime. S’il nourrissait déjà certaines compositions personnelles de Jarrett sur Somewhere Before (le troisième album du pianiste paru en 1968 chez Atlantic), rarement en effet il avait été au coeur de la démarche stylistique du trio, empreinte du stride de Harlem, de panache et de majesté bop. En leur manière de visiter une histoire du jazz avec aplomb, désinvolture et érudition, les trois musiciens de décliner ensuite sur My Foolish Heart, comme il se doit, tout autant leur complicité commune que leur expression individuelle. Exemple parmi tant d’autres : le sommet “Ain’t Misbehavin’”, un hommage transporté à Fats Waller (dont la figure tutélaire plane sur l’ensemble des plages), combine en un même mouvement haletant extrême fluidité et cavalcades millimétrées de Jarrett, jeu tout en rebonds gracieux de Peacock et roulements de baguettes un brin espiègle de DeJohnette. A la seconde question – tout aussi légitime -, la longévité d’une formation (25 ans ici !) lasse-t-elle plus rapidement les musiciens ou les auditeurs, de ne retenir que la seconde proposition, sans y adhérer. Riche en saveurs et plaisirs partagés, chiche en vraies raisons de déception, My Foolish Heart plait sur le moment et sur la longueur, faute de se distinguer vraiment.

– La page de Keith Jarrett sur le site de ECM.