La nouvelle protégée de Sub Pop, Tiny Vipers, se démarque par une musique folk dénudée, à première vue totalement inoffensive. C’est sans compter sur le pouvoir hypnotique de ses arpèges languissants.


Si vous n’êtes pas encore lassés par l’apparition quasi-quotidienne d’une nouvelle chanteuse estampillée new folk, accordez-donc un petit moment à la nouvelle venue Tiny Vipers, qui livre, avec Hands Accross The Void, son premier essai. La jeune Jesy Fortino, qui officie sous ce nom au pluriel, a commencé dans les cafés de Seattle, traînant sa guitare et son spleen au gré des cafés-concert plus ou moins renommés. Grâce à un ami « infiltré » chez le célèbre label américain, son périple picaresque s’est récemment transformé en conte de fées, avec l’enregistrement d’un premier album, certes concis – sept titres – et néanmoins apprécié outre-atlantique. Jesy, qui conserve cependant le goût de la scène où elle joue toujours en solo, comme au bon vieux temps des coffee-shops, a pu mettre en place un microcosme minimal.

Ouaté par moments, aride le plus souvent, son univers s’inspire très explicitement de celui, séminal, des maîtres masculins du genre : Will Oldham lorsqu’il se limitait à une musique acoustique assez oppressante et Bill Callahan à l’époque très épurée de The Doctor Came At Dawn. La musique de Jesy Fortino étonne en effet par son côté obsessionnel, et par là même obsédant, opérant une lente et hypnotique fascination sur tout auditeur qui prend le temps de s’abîmer dans ses cercles concentriques d’arpèges répétitifs. “Campfire Ressemblance” : deux arpèges différents, égrénés lentement, où chaque note – et surtout les plus graves – occupe peu à peu l’espace mélodique. Les choeurs féminins dans les aigus parachèvent cette litanie moderne, sereine et angoissante à la fois. Si la première écoute peut laisser dubitatif – ou du moins, contemplatif – les écoutes suivantes révèleront peu à peu la beauté nue de cette musique qui suggère plus qu’elle n’en dit.

La rêverie cotonneuse engendrée par ce titre lancinant prend fin lorsque les premières notes de “On This Side”, plus énergiques, résonnent. Un rai de lumière inonde la composition, par l’alternance d’accords majeurs et mineurs, par les choeurs vibrants et le chant naïf de Jesy, petite soeur de Laura Veirs. L’éclaircie sera de courte durée, car dès “Aron”, Jesy marche à nouveau sur la pointe des pieds, jouant l’équilibriste d’un jour entre des arpèges lancinants et des envolées vocales spontanées. Les notes en suspens de “Forest on Fire”, comme autant de questions condamnées à ne pas trouver de réponse, constituent le point culminant d’une angoisse qui se fait de plus en plus palpable. La voix s’écarte bientôt et laisse place au déluge de drones, nuage maléfique qui plane pendant presque trois minutes sur cette composition squelettique. “Shipwreck” sera là pour nous réconforter un peu, avec la chaleur inespérée d’un violoncelle. Mais avec “Swastika”, longue épreuve dépassant les dix minutes, Tiny Vipers ressort la chape de plomb et nous englue définitivement dans un spleen contagieux et désertique. Dans cette noirceur ambiante, qui aurait pu avoir raison de notre patience et de notre moral, Jesy parvient à glisser discrètement quelques détails qui suffisent à nous sortir de la torpeur. Un tricot d’arpèges plus aigus qu’à l’accoutumée par ci, une rupture de rythme par là : la fascination initiale pour cette musique fantômatique agit toujours. “The Downward” se chargera de fermer la marche (funèbre) par – qu’à cela ne tienne! – une composition dépassant les huit minutes.

Rien de nouveau sous le ciel bas et lourd du folk américain : juste une prétendante supplémentaire, appliquée et suffisamment sincère pour qu’on écoute ses doléances, forcément acoustiques.

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