Sur ce troisième opus, la paire danoise continue de fignoler avec maestria son esthétique sonique : discorde noisy sur fond de pop sixties. Un peu plus déséquilibré que les précédents opus, au sens propre comme au figuré.


Il y a quelque chose d’intrinsèquement suicidaire sur ce troisième album des arrogants Raveonettes, de l’acte qui relève de l’auto-sabordage en règle. Dans une poussée de folie, le duo rock danois vient de casser son jouet. Mais attention, avec une classe confondante. On n’avait pas entendu de telles mélodies brouillées depuis le Good Morning Spider de Sparklehorse où des fréquences radio défiguraient les « tubes potentiels » du disque, ceux tant convoités par les majors. Chez Columbia, leur sang n’a fait qu’un tour à l’écoute de ce Lust Lust Lust escamoté : « Encore un disque inécoutable ! ». Plutôt un disque incompris ajouterons-nous, les idiots. Leur liberté rendue, Sune Rose Wagner (le noir séminal) et Sharin Foo (la blanche colombe) ont maintenant rejoint la meute indépendante du label Fierce Panda en Europe et Vice Records aux Etats-Unis.

Pour ceux qui ne seraient pas au courant, le ténébreux Wagner est le despote des Raveonettes. Compositeur, parolier et multi-instrumentiste, il est celui qui tire toutes les ficelles, y compris celles de sa muse sexy Sharin Foo qui, amputée de sa basse sur le précédent opus, ne se contentait plus que de placer sa partie chant. Le dernier palier de la raison a été franchi par cet obsédé du contrôle absolu lorsque les clés du studio lui ont été offertes. Désormais producteur aux pleins pouvoirs et donc livré à lui-même, plus rien ne peut arrêter Sune Rose Wagner. L’accès à la console de mixage condamné, le créateur met en marche sa grande entreprise de démolition.

Le son spacieux et ambitieux de la comète sixties Pretty in Black s’est désintégré, le garage rock tellurique a réinvesti la place, décidé à faire du bruit pour marquer son retour au trône. Les potards de saturation ainsi poussés dans le rouge, retour à la noisy pop des débuts, celle de Whip It On et The Chain Gang of Love. Le son est volontairement bâclé, les guitares sont excessives, exagérément mixées dans les aigus. Les oreilles sifflent dans ce vacarme assourdissant sur “Blitzed”, première giclée oppressante qui atteint son paroxysme dans un blizzard de bruit blanc. Cette dissonance stylisée, où Spector et les frères Reid convolent en nuit de noces, a définitivement atteint son point culminant chez les Raveonettes. Et pourtant, le songwriting est fébrile, régulièrement pris d’une intensité exceptionnelle. A l’écoute de l’immense “Dead Sound”, où les harmonies vocales conjuguées des deux sexes procurent un effet solennel, les Raveonnettes viennent d’atteindre leur “Just Like Honey”. D’où ce constat, les seules minutes de silences accordées sur ce disque ne viendront pas d’eux, mais de nous, en leur rendant hommage.

Cette cohabitation entre écriture léchée et autodestruction sonique pourrait faire l’objet d’une passionnante étude de psychanalyse. De cette boîte à rythme élémentaire qui ne rentre qu’au dernier temps sur le très tendu “Hallucinations”, aux accords grinçants de guitare électrique sur le caverneux “Expelled From Love”, tout donne ici définitivement dans le lynchage de la perfect pop song.

Les artistes prétendent régulièrement qu’enregistrer un disque leur évite une longue et couteuse thérapie. Lust Lust Lust ne faillit pas à cette tradition.

– La page Myspace des Raveonettes

– Le site officiel