O’Death franchit avec Head Home un cap décisif : celui de l’autoproduction. Avec le parrainage de City Slang en Europe, la gouaille ravageuse des New-Yorkais bombe le torse, fière de ce premier album au charme brut.


Le bavard Head Home et ses quinze titres est un album autoproduit sorti fin 2006 aux Etats Unis, et désormais distribué par le célèbre label indépendant. Une occasion rêvée de découvrir ce sextet new-yorkais qui, loin de toute effervescence médiatique et autre gloire furtive, a assis sa réputation tapageuse sur scène. Au travers de concerts mythiques qui, apparemment, parviennent à associer la solennité d’une cérémonie chamanique et la rugosité d’une musique animale, indomptable, O’Death s’impose peu à peu comme la synthèse, tout à la fois atemporelle et contemporaine, de la musique américaine aux racines séculaires. Le présent Head Home ne fait qu’enfoncer le clou – forcément rouillé – et impose définitivement ses barbus géniteurs comme référence en matière de country alternative.

Détraquée, mal fichue, la musique de O’Death séduit pourtant immédiatement, d’un assentiment passionnel et déraisonnable, comme si elle parlait à nos tripes plutôt qu’à notre intellect. L’instrumentation est riche – violons, banjo, ukulele, trombone, etc. – et possède le charme désuet de ces clichés sépia un peu écornés. En apparence, seulement. Car le son volontairement rétro – tant par la qualité lo-fi de l’enregistrement que par les nombreux emprunts aux rythmes country – n’a rien d’une antiquité mise sagement sous cloche. Ici, on malmène ses classiques en désaccordant volontairement les instruments, en favorisant les cassures rythmiques et en saturant la production d’instruments, tous ligués pour faire le plus de vacarme possible. Sans doute une réminiscence de l’esprit punk, comme l’annonce la page Myspace du groupe, qui se définit lui-même comme «gothique country punk». Une foule d’influences, plutôt improbables prises séparément – «punk, musique des montagnes appalaches, gospel, jolies mélodies» (!) – bouillonnent dans les veines de ces joyeux énervés. Le chanteur Greg Jamie, leader inspiré, vocifère quant à lui ses mélodies pour lesquelles le terme de «sweet» n’est pas celui qu’on aurait prioritairement choisi.

Banjo métallique et vocaux au bord de l’asphyxie ponctués de sanglots : “Down To Rest” dresse tout de suite le tableau d’une musique un peu dérangée, portée par la section rythmique en avant, des violons grinçants comme chez Sixteen Horsepower, et des choeurs de forçats alcoolisés. Une énergie violente, viscérale, circule au sein de ce groupe qui semble s’entendre parfaitement dans ce joyeux bordel. Quitte à saccager en choeur un morceau par des strates oppressantes de violons (“Adelita”) ou de percussions (l’interlude “Rickety Fence Teeth”). Qu’importe, l’identité musicale hors du commun de O’Death reste sauve.

L’album, en dents de scie comme les reliefs accidentés de l’Ouest américain, alterne folles échappées au tempo accéléré (les trois variations country “Allie Mae Reynolds”, “Only Daughter”, “All The World”) et compositions plus introspectives, où la voix blanche de Jamie se fait le porte-parole de tous les laissés-pour-compte, plus ou moins désespérés comme ce “Travelin’ Man” qui déclare : «nobody’s left to call me friend». Soudain apaisé, Greg Jamie révèle les atouts inattendus de sa voix cassée, formidable vecteur d’émotions nues lorsqu’il se décide à chanter sans comprimer ses cordes vocales (“Jesus Look Down”).

Le périple beatnik, à grand renforts de refrains fédérateurs parfois à base d’onomatopées – “O Lee O”, “Busted Old Church” – se poursuit cahin-caha, dans un esprit foutraque qui n’est pas sans rappeler Nick Cave et ses mauvaises graines de musiciens à leurs débuts. Même vacarme ravageur, même puissance hypnotique et dévorante : on ressort de ce Head Home lessivé, un peu ivre et vaseux. Une cuite au whiskey n’aurait sans doute pas eu un autre effet. Et c’est sans doute le meilleur compliment qu’on puisse faire à O’Death, qui insère, au coeur de ses influences principales, le breuvage préféré de C. Bukowski.

– Le site de O’Death.