Abel Hernandez, qui se cache derrière El Hijo, est de retour quelques années après la douce mort de Migala. Entre gris clair et gris foncé…


La pop espagnole qui traverse les Pyrénées surfe dans les eaux sombres de l’élégance, ce ne sont pas les amateurs de Migala qui diront le contraire. Elle peut même parfois tâter de l’excentricité la plus fertile, comme ce fut le cas il y a quelques mois avec Remate. Nombre de ces disques écorchés sont religieusement chouchoutés par le prestigieux label Acuarela qui héberge notamment un certain Raül Fernandez, faiseur d’or aux mains d’argent. Il était donc logique de le trouver aux chevets du premier disque solo d’Abel Hernandez, alias El Hijo.

Le rescapé de Migala et Emak Bakia ne révolutionne pas radicalement son univers dans ce premier album. Pop sobre, mélancolique, parfois grave. La nouveauté réside dans l’ouverture des jalousies, laissant entrer quelques rayons d’un soleil matutinal réchauffant la rosée. Las Otras Vidas est un disque de petit matin, qui se joue des étoiles et nargue la lumière du jour. Abel Hernandez distille ainsi une mélancolie positive, égrenant ces états d’âme au travers de mini-contes surréalistes ou oniriques. On pense beaucoup à Stuart Staples, et pas seulement pour la voix chaudronneuse. On retrouve un peu de cette légèreté hypnotique et un brin dépressive avec laquelle l’Anglais a habillé ces deux albums en solo. Il y a aussi beaucoup de Lambchop chez El Hijo dans cette propension à habiter l’espace à l’aide d’accords et d’arpèges de guitare cotonneux.

Malheureusement, le choix d’allier ces rythmes apaisés à une production parfois tape-à-l’oeil, et surtout à un chant souvent emprunté empêche difficilement l’auditeur de réprimer çà et là un bâillement poli. La voix d’Abel Hernanez est pour beaucoup dans cet effet soporifique, en cela qu’il a tendance à confondre stupeur et narcolepsie, malgré la justesse de son chant. C’est d’ailleurs exactement le même reproche qui est fait à Kurt Wagner par ces détracteurs. Il est amusant de constater que «Emak Bakia» est une expression basque à double sens : la traduction littérale est «donne la paix», la traduction parlée quotidienne est «fous-moi la paix»… De l’un à l’autre, il n’y a qu’un pas qu’on hésite parfois à franchir ici. N’est pas Stuart Staples qui veut.

Toutefois, s’arrêter à ce défaut serait profondément injuste. Las Otras Vidas possède suffisamment de qualités pour en faire un disque d’excellente facture pour quiconque recherche une musique racée et classieuse. Abel Hernandez n’est pas le premier venu. Il sait brillamment injecter de brèves doses d’oxygène à ses compositions souvent meurtries. Que ce soit avec une batterie n’aimant que l’école buissonnière, un piano aigre-doux, ou une guitare acoustique authentiquement lumineuse, Las Otras Vidas dispose de petites poches d’air pur lui permettant de respirer sans peine, tout en exprimant fortement tout le plaisir qu’il ressent à le faire. Bien sûr, quelques effets de manches sont ici et là superflus (une guitare électrique pataude, le finale de “Cabalgar”, carrément interminable). C’est donc quand le madrilène privilégie les pièces les plus légères et délicates qu’il exprime le mieux ce sentiment d’hébétude enjouée qui l’habite.

Entre compositions à la beauté discrète et interprétation poussive, on ne tranche pas. On préfèrera laisser à ce disque le soin de se révéler au fil du temps, il en a indéniablement toutes les qualités.

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