Une couverture sobre de circonstance pour l’éminent représentant de la scène avant-folk californienne, présenté sous un jour un peu plus assagi que d’accoutumée. Ses démons se sont-ils envolés pour autant ?


Depuis déjà quelques dizaines de pleine lune, le guitariste insomniaque Ben Chasny – sous l’entité Six Organs Of Admittance – initie les profanes aux expériences psyché-folk aliénantes parmi les plus captivantes qu’il nous ait été donné d’entendre. Ses premières productions indépendantes enregistrées sur son modeste quatre pistes, sont un voyage fascinant de l’autre côté du miroir : un folk transfiguré, puisé dans l’héritage des disques du label Takoma et de Tyrannosaurus Rex. Plus près de notre époque, les oeuvres ésotériques et angoissantes des Japonais Ghost, Charalambides, voire Coil semblent également avoir eu un impact sur lui. Maîtrisant aussi bien l’instrument acoustique qu’électrique, Chasny est un virtuose du manche, érudit et autodidacte. Comme si ce n’était pas assez, ses disques bourdonnent littéralement : les feedbacks apocalyptiques qu’il tire des amplis lui ouvrent une palette sonore et une liberté sans bornes. De par ses aptitudes transversales, Chasny s’est forgé l’une des identités les plus intrigantes du folk alternatif.

Le californien est jusqu’ici parvenu sur chaque disque à brillamment renouveler son univers, que ce soit lors des pérégrinations Faheyenne sur le solitaire For Octavio Paz ou l’approche plus dynamique et raga de School Of The Flower. Shelter From The Ash, son troisième opus sous licence Drag City, et neuvième en tout, marque pour la première fois une pause. Le folker n’ingurgite plus ses dernières expériences ramenées de ses innombrables collaborations externes, il se contente de puiser dans ses propres ressources passées – déjà considérables ceci dit. Encore sur le foisonnant The Sun Awakens paru l’année dernière, l’idée de danger et de jusqu’au-boutisme prévalait (la notamment monstrueuse pièce “River of Transfiguration”). Sur Shelter From The Ash, Six Organs Of Admittance oeuvre d’une manière générale dans le classicisme assumé. Moins sur le fil du rasoir, dirons-nous.

Cette dernière offrande psycho/psyché n’apporte rien d’intrinsèquement nouveau. C’est certainement son disque le plus abordable, à défaut d’être le plus fou. Si vous cherchez le Ben Chasny du chaos, celui poussé dans ses retranchements, mieux vaut alors se tourner sur ses dernières collaborations avec Current 93, Badgerlore et Comets On Fire. Il n’empêche, en élaguant son propre catalogue, Six Organs Of Admittance en extirpe quelques belles complaintes à l’humeur introspective (“Jade Like Wine”, “Gode”…). Sur ce point-là, Chasny n’avait plus autant usé de son chant « Bolanien » depuis Compathia. Il s’essaie même sur l’austère et pastoral “Strangled Road” à un duo folk traditionnel façon Stormbringer de John & Berverley Martyn en compagnie de sa bien-aimée Elisa Ambroglio (Magik Marker, Basalt Fingers). Une première dans ce registre, il nous semble.

Porteur d’une mélancolie à la fois docile et sourde,Shelter From The Ash apparaît comme le disque le plus coulé de Six Organs Of Admittance. La production de Tim Green – le math rocker métalleux des Fucking Champs qui fait désormais partie de la famille depuis The Sun Awakens – est superbe, accordant une profondeur inouïe aux strates de guitare électrique. Chasny, lui, n’a pas son pareil pour éructer d’impressionnants soli de fuzz dévastés, propres à instaurer un climat de paranoïa (“Final Wing”, “Shelter From The Ash”). Et puis il y a toujours un tour de force dans les disques de Six Organs Of Admittance : cette fois, “Coming To Get You” est une pièce en deux actes, chambre méditative qui bascule dans l’abîme, errance interférée par une catatonie de drones menaçants.

Finalement, si ce n’est pas par la musique que le changement s’opèrera, ce sera plutôt par l’état d’esprit. Pour Chasny, il était peut-être temps de prendre temporairement un peu du recul. Lui qui autrefois dédiait ses albums aux insomniaques, nous souhaite maintenant bonne nuit sur la dernière piste… une berceuse cauchemardesque.

– Le site officiel de Six Organs

– Lire également la chronique de Compathia

– Six Organs of Admittance – The Sun Awakens

– Six Organs of Admittance – School of The Flower

– August Born – August Born