Le grand classique des Cowboy Junkies, le seul aussi, revu et corrigé par ses fondateurs, 20 ans après son enregistrement initial. Lumineux.


Il y a des jours, on regrette d’avoir 34 ans et on aimerait en avoir 22. Il y en a d’autres où on regrette toujours d’avoir 34 ans, mais où on aimerait en avoir 44. Parce que 44 ans en 2007, c’est 25 ans en 1988, un âge parfait pour apprécier à leur juste valeur les chansons magiques de Trinity Session, ce sommet de folk ambitieux et spacial des Canadiens Cowboy Junkies. Manque de pot, à sa sortie, on avait 15 ans, des boutons plein la tronche, un jean déchiré au genou gauche, et on se démontait les cervicales sur les déconnades épileptiques des Shériff. Il nous faut donc nous contenter de cette relecture de l’album, enregistré exactement dans la même église de la Sainte Trinité, discrète bâtisse coincée au coeur d’un immense champ de grattes-ciel en plein centre de Toronto, avec les mêmes acteurs et quelques invités. Et c’est déjà considérable.

Trinity Revisited marque d’emblée par un son d’une pureté absolue. Embêtant pour de la country-folk ? Pas vraiment, tellement la musique des Cowboy Junkies nécessite d’être exécutée dans des conditions optimales, privilégiant une écoute capiteuse et religieuse (tout le contraire de ce qu’on cherche à 15 ans). Sont réunis autour du guitariste Michael Timmins son frère cadet Peter (batterie), sa soeur Margo (chant) et Alan Aton (basse), se retrouvant pour communier autour de ce qui fut le point de départ d’une carrière fulgurante. Ils ont convié pour l’occasion quatre invités de marque : le multi-instrumentiste Jeff Bird, Vic Chesnutt, Natalie Merchant et Ryan Adams. Le résultat est un disque dont la beauté caresse l’ouïe en faisant chavirer le coeur.

Dès l’ouverture, la messe est dite par la grâce du chant a cappella de l’envoûtante Margo Timmins sur “Mining Of Gold”, qui nous plonge dans une douce torpeur dont on ne se départira jamais par la suite. “Misguided Angel”, quant à elle, transporte avec sa magnifique mélodie duveteuse, la mandoline de Jeff Bird et les chants croisés de Margo et Natalie Merchant, dont la voix impressionnante n’impose jamais sa force.

Compositions originales et reprises multiples constituent Trinity Session. La dernière relecture de “Blue Moon” d’Elvis (sa plus belle chanson, peut-être) rivalise de classe et de noblesse avec celle de “I’m So Lonesome To Cry” de Hank Williams qui voit Vic Chesnutt faire la cour à la Canadienne de son émouvante voix éraillée, à peine bousculé par un Ryan Adams sobre et transporté. Mais la palme de la reprise la plus aboutie revient sans conteste à celle de “Sweet Jane” du Velvet Underground, dont la première version avait poussé Lou Reed en personne à décréter qu’il n’avait jamais entendu mieux reprendre une de ses chansons. Démarrant sur un fratras sonore indéfinissable et à peine dérangé, la scie velvetienne se transforme, entre les mains de Cowboy Junkies, en une lancinante mélopée bluesy, une vision qui lui octroierait presque de l’humanité – un comble pour une chanson du Velvet Underground, exception faite de “Pale Blue Eyes”, bien sûr.

Les titres des Cowboy Junkies ne souffrent pas de la concurrence. “200 More Miles” est habitée par le subtil Ryan Adams, en état de grâce ce jour-là. Une belle ballade d’un classicisme absolu, le récit banal d’une vie quotidienne à Nashville que Neil Young aurait signé des deux mains, surtout à l’époque. Un des sommets de cet album. Il faut aussi rendre hommage à Natalie Merchant qui, entre autres éclats et avec la complicité de Jeff Bird, sublime au piano “To Love Is To Bury”, déchirante mélopée tombée du ciel. “Dreamings My Dreams With You” est au contraire délicatement maltraitée par l’interprétation ténébreuse d’un Vic Chesnutt ému d’être là, toujours aux côtés de la belle Margo. Et quand il s’agit de déclamer un country-blues râpeux tel “Postcard Blues”, l’écorché est sans conteste l’homme de la situation.

L’album est livré avec un DVD qui propose, outre un documentaire un peu plan-plan (excepté sur la partie dédiée à Ryan Adams, décidément attachant par son attitude de petit garçon émerveillé), l’intégralité de la session. Et de constater que les moyens ne sont plus les mêmes qu’à l’époque du premier enregistrement. Eclairage architectural et complexe, disposition scénique concentrique hyper travaillée, et surtout, matériel de captation sonore conséquent. Peu importe, passé une première sensation mollassonne, on est vite happé par la prestation, aidé par les voix si différentes et pourtant si complémentaires de deux chanteuses uniques. Sans compter sur la sobriété, la concentration et le sérieux des musiciens, tous excellents.

A la place d’une réunion d’anciens combattants, en manque de reconnaissance au moment où la country-folk connaît une énième jeunesse, voici l’exécution en direct d’un disque élégiaque par des musiciens humbles et pourtant parfaits. On comprend dès lors pourquoi Townes Van Zandt avait pris ce groupe sous son aile. De vrais folkeux, respectueux, constructifs et surtout inspirés. Même si le reste de leur carrière est une autre histoire.

– Leur site officiel