Parallèlement à notre entretien avec Pascal Bouaziz, passage en revue des trois premiers albums de Mendelson sortis avant Personne Ne Le Fera Pour Nous.



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L’année 1997 fut de celles que l’on oublie pas. Musicalement parlant à tout le moins. Ok Computer de Radiohead, Homogenic de Björk, le second album éponyme de Portishead, trois albums majeurs, déjà à l’époque, passés à la postérité depuis, allaient marquer les esprits, à l’instar, aussi, de la disparition prématurée d’un génie transformé aussitôt en icône romantique et – c’est selon – en poule aux oeufs d’or : Jeff Buckley. Et puis parut également L’Avenir est devant de Mendelson, un duo nordique composé de Pascal Bouaziz (guitares, piano, harmonica, percussions, orgue et voix) et Olivier Féjoz (contrebasse, guitares, percussions, choeurs), signé chez l’incontournable label Lithium. On se souvient d’un article dans Les Inrockuptibles, début 1998, lu dans un numéro avec Alain Bashung en couverture, qui nous a donné envie d’aller voir de plus près de quoi il retournait vraiment. De découvrir, notamment, qu’est-ce qu’attendaient ces deux mecs avachis dans un fauteuil devant une fenêtre prise à contre-jour.
Minimaliste, artisanal, bricolé, pas toujours bien fichu, mais tout de même exigeant, L’Avenir est devant fait figure, avec le recul des années, de disque totalement atypique dans le paysage musical français (comme le sera d’ailleurs en 2000 le premier album de Red, le précieux Felk). Le sujet s’impose – la banlieue, le vide un peu partout, les horreurs du quotidien qui ne disent pas leur nom -, la forme résiste – les refrains ne s’invitent pas systématiquement à la table du rock indé bien-comme-il-faut, les mélodies se font parfois nonchalantes, la voix tend au détachement. Acoustiques, lancinantes, presque rampantes, les chansons ne cherchent pas à convaincre, encore moins à imposer une fausse promiscuité, elles gardent le secret bien défendu de leur ambivalence.

A Combs-La-Ville, on ne rigole pas tous les jours, on s’ennuie souvent, rien de très grave, pas grand-chose de palpitant non plus, juste la morne routine qui déroule sa logique implacable, celle qui finit par user et donner littéralement lieu à une musique des cendres, pour ne pas mourir. S’amorce ainsi avec L’Avenir est devant une écriture au scalpel, farouche, voire méchante (dixit son auteur), au service d’une observation précise des faits, qui intensifie le hic et nunc des compositions. La plume de Bouaziz, non dépourvue d’humour, se déploie comme une arme blanche qui taillade un réel ni glorieux, ni complètement désespéré, afin de sauver ce qui reste encore à sauver. L’Avenir est devant est l’album d’un groupe qui s’invente sur le tas, prend ses marques, s’interroge sur la fortune du geste de musicien, investit un univers qu’il peuple, rythme et met en tension. Devenu rare, et donc culte, on trouve ce disque aujourd’hui sur Amazon.fr à plus de cent soixante euros.

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Trois ans après, avec Quelque part – enregistré par Peter Deimel, mixé par Michel Cloup et produit par Noël Akchoté – Mendelson semble surtout avoir trouvé un son et gommé les approximations de son premier opus. La formation originelle s’est étoffée avec l’apport de nouveaux musiciens, dont beaucoup sont issus du jazz : Noël Akchoté à la guitare électrique, Meïr Cohen à la batterie, Pierre-Yves Louis à la guitare, Daunik Lazro au baryton, Charlie O. à l’orgue, Michel Cloup au sampler, Joëlle Léandre à l’archet contrebasse et Emmanuel Bacquet à l’alto (déjà présent sporadiquement sur le premier album et aussi photographe du groupe). Dès l’ouverture, la guitare électrique oppressante et la contrebasse surpuissante impressionnent par leur impact, avancent de concert avec conviction, fendent l’espace qui a gagné considérablement en densité et profondeur. Avec une entame pareille, on se dit qu’il va falloir dorénavant considérer sérieusement le cas Mendelson, qu’un groupe qui prend à bras le corps la musique de cette façon-là ne peut être qu’important. L’avenir nous donnera raison.

En attendant, Quelque part fout les jetons, subjugue, bouleverse, fait rire, refroidit, interpelle, dérange, séduit, tout cela à la fois. Pascal Bouaziz y développe son sens aigu du récit, en donnant une ampleur supplémentaire à ses descriptions minutieuses et à la peinture en creux d’une société aux abois, qui se donne l’illusion de survivre. Chansons-panoramique – qui lentement embrassent un champ de la réalité donnée ou un pan de la mémoire – et chansons-travelling – qui s’enfoncent sur les rails d’un quotidien qu’elles creusent avec obstination – se succèdent sans baisse de tension, dressent une cartographie peu reluisante, mais sans mépris, d’une France chantée à hauteur d’homme que l’on ne qualifiait pas encore « d’en bas ». Album de combat sans répit, qui n’harangue pas les foules à moindre frais, diamant noir aux arêtes tranchantes, Quelque part brille encore, cinglant, solide comme un roc, résolument d’actualité.

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Seuls Au Sommet, paru en 2003, marque plusieurs changements notables. Exit Lithium, label enterré vivant, dont on ne dira jamais trop combien il contribua à l’émergence d’une scène francophone aventureuse (Dominique A, Diabologum, Françoiz Breut, Programme, Jérôme Minière, Bertrand Betsch, etc.). Choix revendiqué et assumé du groupe de mener à présent sa barque seul, sans arrière-pensées. Sur la pochette de l’album, Pascal Bouaziz, assis sur un fauteuil, face à nous, trône au milieu d’objets personnels emblématiques (des disques de Can, Roxy Music, JJ Cale, Fela, Miles Davis, Talking Heads, Leonard Cohen, Arab Strap, un roman de Murakami, un livre sur Dylan, une photo de Jimi Hendrix, des instruments de musique, une lampe de grand-mère…), comme pour signifier que cet album est fait maison, sans contraintes, presque à l’ancienne. Séparées selon le principe d’une face C et D, les compositions, au ton tantôt sombre, tantôt plus serein, dénotent une envie de simplicité et, autant que faire se peut, de légèreté. Cette idée de scission sera d’ailleurs reprise avec les deux disques de Personne Ne Le Fera Pour Nous, titre déjà du neuvième morceau ici, manière de souligner la filiation entre cet album où Bouaziz « aime les gens » (« Je me réveille ») et le suivant, sur lequel il chantera que « les gens ce sont les pires » (“J’aime pas les gens”).

Outre la recherche d’une plus grande fluidité et efficacité, l’influence de certains songwriters et groupes américains admirés (Elvis Costello, les Kinks, Randy Newman, dont Bouaziz reprend/détourne le “Lonely At The Top”) tient de l’évidence sur certains morceaux, pas seulement en raison des sonorités pop-rock choyées ici et là, mais aussi du contraste finement élaboré entre l’apparente douceur des mélodies et la noirceur absolue des textes. A ceux qui auraient un peu trop vite classé Mendelson dans la catégorie des groupes difficiles et élitistes, Seuls au sommet oppose un démenti flagrant. L’idée, assez répandue, selon laquelle la musique du groupe se mériterait, façon souvent assez rusée qu’ont les chroniqueurs de se distinguer de la masse et de s’assurer une position qu’ils pensent supérieure, se trouve relativisée par une orientation plus diversifiée que par le passé et une volonté de faire aussi de la musique pour toutes ces femmes qui portent un « manteau en poils de singe ». Une envie louable de ne pas s’enfermer dans un style devenu par trop prévisible, qui débouche sur quelques perles ( “Toi et moi”, “L’Ardèche”, “Qu’est-ce que tu veux”), et s’affirmera avec encore plus d’aplomb sur l’album suivant.

* A écouter :

L’avenir est devant (Lithium/Labels – 1997)
Quelque part (Lithium/Labels – 2000)
Seuls au sommet (Rec-Son/Rectangle/Prohibited Records – 2003)
Personne ne le fera pour nous (LiFe liVe/ReC-Son – 2007)

* Lire l’entretien avec Pascal Bouaziz.