Quand bien même la fracassante onde digitale émise par In Rainbows a adopté une forme matérielle depuis le 31 décembre dernier, date de sa sortie dans les bacs, l’affaire était loin d’être close.


Dès notre enthousiasmante chronique parue « à chaud » une semaine après sa mise à disposition en téléchargement, il est apparu évident qu’il nous faudrait revenir plus tard sur ce disque incroyable. Non pas que nous tenons à entretenir le débat sur l’approche « révolutionnaire » de distribution et autre subtil coup marketing goupillé par le quintet d’Oxford, mais plutôt prendre du recul sur ce qui nous importe le plus : l’âme de la musique. Encore une fois dans l’emballement général, la forme avait été privilégiée sur le fond… Peut-être aussi interprétons-nous inconsciemment ce besoin aigu d’y revenir comme une façon d’identifier un disque resté un temps sans visage : une version téléchargeable sans pochette et certes le boxset, objet énorme mais invisible – et sur lequel nous nous attarderons plus loin. Un cas unique dans les annales : alors que le MP3 à tendance à rendre le format de la musique impersonnelle, Radiohead poussait (malgré lui ?) encore plus loin le vice en dénuant momentanément l’objet de tout repère visuel.

Qu’il n’y ait aucun malentendu, Radiohead aime toujours les albums. In Rainbows en atteste. Ses écoutes répétées nous ont confortés dans l’idée d’une oeuvre solide, frappée de fulgurances et prolongée de superbes césures. C’est aussi un retour aux structures plus conventionnelles du rock (“All I Need”, « Jigsaw Falling Into Place”…) après une phase discographique où la perte de sens et les questions sans réponse étaient revendiquées et assumées – la trilogie entamée avec KidA…. Dans son déroulement logique, lors du récent webcast donnée le 31 décembre sur Current TV où le groupe interpréta son disque en intégralité dans des conditions quasi-live, nous assistions à un phénomène extrêmement troublant : Thom Yorke crevait l’écran, fixant l’oeil de la caméra comme jamais. L’image du songwriter recroquevillé et tourmenté cédait sa place à un flegme inédit, une assurance presque aguicheuse. Etablir un lien entre ce chanteur libéré et le ton d’In Rainbows nous paraissait indissociable. Thom Yorke mettait en application sur scène quelques règles établies sur son propre album.

Et puis il y a ce Boxset, In Rainbows version lourde. Livré (sur Paris) le lendemain des délais impartis sur le site marchand, l’objet est imposant. Sa présentation ingénieusement bien pensée (particulièrement le rangement des vinyls et des cds) lui procure la touche d’un livre d’art, amplifié par son grand livret – véritable feu d’artifice (arc-en-ciel ?) de couleurs. L’avoir entre ses mains rend nostalgique. L’effet d’une étrange relique rock qui pour la première fois nous fait prendre conscience de la fragilité du support CD et de son extinction.

Qu’en est-il de ce second CD ? On a entendu beaucoup de choses sur son compte jusqu’à sa livraison. Serait-il la pièce manquante d’un double album caché, des chutes de sessions ou bien tout simplement un autre album ? Il faut avant tout considérer ces inédits comme inextricablement liés au coffret : un cadeau à l’intention des fans. Ce serait tout bien considérer un EP s’inscrivant dans le sillage passé d’un My Iron Lung et autres imports japonais ou australiens connus collectant les faces B des cinq britanniques. D’ailleurs, si l’on fait abstraction de deux courtes séquences instrumentales, seulement six chansons hantent ces huit plages.

En guise d’introduction, “MK1” laisse échapper un échantillon du piano de “Vidéotape”… un motif court qui donne le rappel à sa mouture première. Le symphonique “Down Is The New Up” aurait pourtant pu figurer sur cette dernière, la voix de Thom Yorke confiante, comme éprise des cordes, conduit cette valse grandiose tel un apprenti-sorcier. Hormis cette partie orchestrale l’épure est de mise sur le reste des plages : “Last Flowers of The hospital”, dualité d’un piano auroral et d’une guitare acoustique vagabonde façon “Karma Police”. Le pouls s’accélère sur « Bangers and Mash », une petite récréation rock d’où se distingue la basse quatre-roues motrice de Colin Greenwood. “4 Minutes Warning” enfin ferme la marche avec un Thom Yorke docile, accompagné simplement au piano, tandis que le reste de la bande a revêtu des toges gospel pour les choeurs.
Il n’y a pas de déception. In Rainbows est traversé de quelques chansons mémorables, à défaut d’êtres exceptionnelles peut-être. Mais devant l’exigence – exceptionnelle, elle – de Radiohead, incapable d’être médiocre, il ne pouvait en être autrement.

– Le site Inrainbows, où le coffret est toujours disponible