Vous en connaissez beaucoup, vous, des musiciens qui vous reçoivent avec un exposé photo pour vous présenter leur nouvel album, avec musique d’ambiance itou itou ? Non, forcément me répondrez-vous. L’intention est louable mais pour tout vous dire, les frères Wilkinson, Yan (aka Scott) et Hamilton nous font l’effet d’être sortis de The Big Lebowsky : fausse allure de pantouflards, tendrements décalés mais investis par leur propre code moral. Rock n’roll.


Pinkushion : L’album s’intitule Do You Like Rock Music ? Doit-on l’interpréter comme votre manifeste sur le rock ?

Yan (chant, guitare) : C’est un album de rock selon notre point de vue, mais ce n’est pas forcément le même pour d’autres personnes. On ne fait pas référence aux Red Hot Chili Peppers ou AC/DC, si tu vois ce que je veux dire. Pour nous le rock c’est bien plus Serge Gainsbourg, les Pixies, Iggy Pop. Des choses qui rendent la vie plus intéressante, plus stimulante. Une musique qui offre un challenge de qualité à travers les sujets et les mots. Certains pensent que le rock est quelque chose de stupide. Nous pensons que le rock est capable d’une réelle pertinence artistique.

Dans ce cas, on aurait pu titrer l’album Do you like Pop Music ? , tant les deux genres sont souvent mêlés….

Hamilton (chant, Basse) : Je pense que le mot « pop music » est moins engagé, alors que le mot « rock » appelle à davantage d’interrogations.

Do You Like Punk Music ?.

Yan : Oui, mais le terme « rock » est plus large. Le punk est une bonne chose, mais le courant a existé durant une période de temps assez courte, ce n’est pas notre message. Le terme « rock » inclut davantage de possibilités.

Hamilton : Iggy Pop aujourd’hui n’a plus le même charisme que par le passé. Il fait toujours la même chose, il est devenu un peu un cliché de lui-même. Johnny Cash pour moi est rock. Django Reinhardt aussi. Il jouait de la guitare avec seulement deux doigts. Ça semble incroyable, on dirait qu’il en avait vingt.

L’album a été enregistré en République Tchèque et l’Hotel2Tango à Montréal, puis en Angleterre à Fort Tregantle, une forteresse qui remonte au XIXe siècle.

Hamilton : C’est un château situé au sud-ouest du pays, non loin de Plymouth. L’endroit est déserté, nous avons installé quelques micros et un 24 pistes à l’intérieur d’une tour d’eau. C’était plutôt précaire. Parfois, il pleuvait dedans et nous étions obligés de recouvrir notre matériel avec des bâches.

Yan : On aimait ce que dégageait l’endroit, l’acoustique notamment. On a apporté notre équipement pour y enregistrer, mais sans vraiment s’attacher à l’aspect professionnel de la chose. Notre matériel est plutôt vintage, pas très sophistiqué.

Une tour ? voilà ce qui explique cette phénoménale reverb’ qu’on entend sur l’album…

Hamilton : En partie. Si tu tapais dans les mains en ces lieux, l’écho durait douze secondes. La résonance était comparable à celle d’une cathédrale.

Pourquoi avoir choisi d’enregistrer dans ce lieu plutôt atypique ?

Yan : Je pense que cela peut provoquer des accidents « heureux » dans le processus d’enregistrement, des surprises. Si tu vas dans un studio, c’est toujours pareil. Il y a beaucoup de pression et une approche plus professionnelle. C’est important aussi de pouvoir s’amuser et d’expérimenter un peu. D’être à l’aise.

Hamilton : Le travail en studio est rigide, et coûte beaucoup d’argent. C’est aussi un peu une réaction à notre précédent album où nous avions travaillé rigoureusement. Au final, nous n’avons rien retenu des séances, quelques bribes de souvenirs à l’hôtel et en studio, rien de bien intéressant. Cette fois, on voulait faire de cette expérience quelque chose d’enrichissant. Explorer de nouveaux sons.

La tour d'eau de Fort Tregantle dans laquelle le quatuor a enregistré une partie de l'album.


Vous êtes également partis enregistrer en République Tchèque.

Hamilton : Nous avions joué à Prague à l’époque de notre premier album et collaboré avec un groupe local, il y a quelques années, The Ecstasy Of St Theresa.

Yan : C’est un très bel endroit. Les Anglais y viennent pour boire, faire la fête pendant leurs vacances et les noces de mariage… Ce n’est pas très cher comme destination. Nous, nous étions à l’extérieur de Prague, près d’une forêt dans un parc national. Ce fut agréable d’y travailler pour mixer l’album. Nous sortions de deux ans de dur labeur, c’était reposant quelque part de travailler là-bas en plein milieu de la forêt. On pouvait faire du jogging, ce genre de choses…

Hamilton : On s’y sentait bien, il y faisait un temps splendide, c’était notre rayon de soleil.

Vous choisissez plutôt des destinations froides…

Yan : Le Canada était particulièrement froid, la température est descendue à -20° en janvier.

Comment était-ce d’enregistrer au mythique studio Hotel2Tango de Montréal ?

Yan : L’ambiance était plutôt détendue, ils n’ont pas, là-bas, la mentalité des producteurs, ce sont des musiciens avant tout. Le studio appartient au mec des Silver Mt. Zion, Howard Billerman, qui était aussi le batteur originel d’Arcade Fire. Ils travaillent sur une vieille console, l’endroit ressemble d’ailleurs davantage à une brocante qu’à un studio, avec ses machines entreposées un peu partout. C’est assez peu éclairé, ce qui dégage finalement une ambiance intéressante.

Hamilton : Je dirais que ça ressemble à un entrepôt, comme une grande pièce.

Yan : C’était d’ailleurs le dernier disque qu’ils enregistraient dans les lieux avant de déménager. L’endroit était délabré et partait en lambeaux. C’est mieux ainsi. Parfois, il est plus agréable de travailler dans des conditions un peu plus « professionnelles », avec un canapé tout neuf (rires).

Combien de temps avez-vous passé à enregistrer l’album ?

Hamilton : Ça nous a pris presque deux ans. L’essentiel est passé dans l’écriture. Une partie de l’album a été conçue à Montréal. On y est allés en novembre 2006, puis on y est retournés en janvier l’année suivante. Avant ça, nous répétions dans cette tour en Angleterre.

Yan : Je suppose que l’enregistrement a duré peut-être neuf mois. Mais cela inclut le déplacement au Canada, nous sommes ensuite rentrés à la maison pour travailler le mixage. On est retournés au Fort, enfin il y a eu le mixage, plus technique. Nous avons passé beaucoup de temps entre ces différentes étapes à réfléchir sur ce qu’il manquait, ce que nous avions besoin de faire, quelle chanson fonctionnait et celle dont on allait se débarrasser. Tout cela prend beaucoup de temps.

En dépit du fait que vous avez beaucoup bougé et que le disque découle d’un long processus, je trouve l’album très cohérent.

Yan : Je pense que c’est justement parce que nous avons pris notre temps afin d’être certains d’assembler les bons éléments entre eux. Beaucoup de chansons ont été élaborées au même endroit, à Fort Tregantle, dans la tour. Tous les sons bizarres ainsi que les choeurs découlent de là-bas.

Yan : Certaines chansons contenaient douze parties de chant différentes…. Et puis nous assemblions le tout.

Hamilton : On a trouvé un vieux piano dans le fort qui traînait là depuis probablement vingt ans et dont on s’est servi. Ça sonnait brillamment (rires). On a aussi expérimenté dans différentes pièces, différents échos.

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Des trois producteurs avec qui vous avez collaboré sur ce dernier opus, Graham Sutton (Jarvis Cocker), Efrim Menuck (Godspeed You !Black Emperor) et Howard Bilerman (Hotel2Tango Studio), quel est celui avec lequel vous avez préféré travailler ?

Yan : Chacun avait un rôle différent. D’une certaine manière, nous sommes incapables de produire notre musique, car nous avons besoin d’un oeil extérieur. Par exemple, au Canada, Efrim Menuck sait parfaitement exploiter le vieil équipement du studio, avec leur machine à cassette, ce qui a certainement affecté notre travail.

Hamilton : Graham est davantage un mixeur né, il enregistre un petit peu. C’est une vraie collaboration, il essaie d’obtenir le meilleur des gens. Il est davantage dans la tradition des producteurs.

Yan : Notre expérience à Montréal a certainement été la plus singulière. En partie à cause du temps, mais aussi parce que ce sont des gens un peu bizarres. Ils utilisent des drôles de mots comme « Tabarnac ! ». C’est plutôt marrant pour nous, même si on ne comprend rien. C’est un monde vraiment différent, assez particulier si l’on doit y rester un mois ou deux. On se sent en sécurité dans cette ville. Et puis le café est très bon aussi (sourire).

Il y a cette chanson sur l’album « Lights Out for Darker Skies », qui ouvre pratiquement sur un motif de guitare très puissant. Je me demandais d’ailleurs si cette partie avait été enregistrée à l’Hotel2Tango.

Yan : En effet, toutes les parties de guitare et de batterie, ont été enregistrées à Hotel2Tango. En Angleterre, on s’occupait davantage des textures, des trucs que tu ne peux pas vraiment entendre. Comme ces pigeons qui s’étaient installés dans la tour, il devait y en avoir quelque chose comme 200. Tu peux les entendre vers la fin du morceau pendant les choeurs. Toutes ces choses-là, nous les avons faites nous-même.

Hamilton : On aime rajouter des détails dans les albums, de façon à ce qu’à chaque nouvelle écoute tu découvres quelque chose. C’est un peu comme un jeu.

Avez-vous écouté « The World Was a Mess But His Hair Was Perfect » des Rakes ? il y a pratiquement le même phrasé de guitare.

Hamilton : (Je lui passe l’écouteur pour lui faire entendre le morceau en question sur mon lecteur MP3). Effectivement je vois ce que tu veux dire…

Yan : « Lights Out for Darker Skies » a germé d’une manière étrange. C’était au départ une idée assez stupide, on voulait raconter une histoire où l’on traverserait le temps à travers la lumière, depuis les flammes et les bougies des temps obscurs jusqu’à l’électricité moderne… Cela n’a finalement pas débouché, les autres n’aimaient pas l’idée. Au départ, il devait y avoir des instruments médiévaux comme une mandoline… et puis finalement le morceau est devenu nettement plus rock. Nous avions beaucoup de matière pour cet album. Il nous arrivait d’assembler le meilleur de trois chansons pour obtenir un morceau supérieur.

Il y a un penchant épique sur cet album qui n’était pas aussi flagrant sur les deux précédents.

Yan : Nous n’avons jamais cherché à trouver un son excitant, nous jouons de la même manière que sur scène. L’objectif était surtout d’obtenir quelque chose de grand, tirer le meilleur de nous-mêmes. Mais c’était assez différent de l’ambiance générale qui se dégageait à ce moment-là. Nous ne vivions pas vraiment de journées « épiques », c’était plutôt le temps qui était étrange, dangereux même… (ndlr : il prend un air mystérieux, sûr de son effet, mais nous ne sommes pas convaincus…). Il y a beaucoup de sujets sur ce disque, donc on avait besoin d’un son conséquent pour représenter tout cela. Mais l’ambiance n’était pas vraiment épique.

Hamilton : Eventuellement, on pourrait considérer les lieux où nous travaillions dans cette optique « épique ». A Montréal, nous avons été bloqués par les tempêtes de neige. On a aussi connu beaucoup d’incidents en République Tchèque (ndlr : un ours se serait invité dans le studio). C’est un sacré voyage, c’est peut-être pour cela que le disque sonne ainsi.

Vivez-vous toujours à Brigthon ?

Yan : Oui, cela fait sept ans maintenant. C’est une ville agréable, elle peut sembler assez petite d’apparence, mais tu peux t’y perdre. D’une manière générale, c’est une ville assez ouverte d’esprit, il y a beaucoup d’artistes.

Depuis les années 90 et l’explosion big beat avec Fat Boy Slim, la ville semble avoir perdu de son impact musical. Je ne vois que les Kooks comme jeune groupe originaire à avoir émergé.

Hamilton : Il y a des groupes de rock, mais ils sont tous mauvais.

Yan : Il y a plein d’enfants qui vont à des écoles de musique, c’est horrible (rires). Tu y vas pour étudier la musique et éventuellement jouer dans un groupe. La plupart du temps tous ces groupes sonnent pareil. Même schéma pour les Kooks. Enfin, je peux comprendre. Leur musique est assez énergique avec de belles mélodies… Il y a des centaines de groupes en ville qui sonnent comme les Libertines. Je n’ai foncièrement rien contre les Libertines, mais tous ces groupes qui copient c’est d’un ennui…

On a un peu le même phénomène sur Paris.

Yan : Je pense que les Libertines étaient bons, mais ça ne sert à rien…

Prenez-vous toujours soin de décorer la scène avec des oiseaux en plastique et des branches d’arbre ?

Hamilton : On ne le fait plus systématiquement. Faire la même chose devient lassant, à la fin. On le faisait depuis quatre ans… ça me rappelle une histoire à New York, notre manager était parti chercher des branches et quelqu’un lui a brandi un couteau et l’a menacé de ne pas couper des branches. L’arbre était protégé…

Vos cinq albums favoris ?

Hamilton :


Sonic Youth – Sister

Bob Dylan – Nashville Skyline

Jonathan Richman – Rock’n’Roll with the Modern Lovers

Neu – Neu 2

Leonard Cohen – Songs

Yan :


Pixies – Bossanova

David Bowie – Best Of

Hawk and a Hacksaw – Darkness at Noon

Julian Cope – Fried

USSR Ministry of Culture – Celestial Litanies

– Lire également la chronique de Do You Like Rock Music ?

– Le site officiel de Bristih Sea Power