Les soeurs CocoRosie ont fait des émules jusqu’en Norvège : Silje Nes, chanteuse du froid à la voix tiède, nous convie à un joli voyage, traversant les fjords et les forêts brumeuses. Purement féérique.


Discrète, raffinée, Silje Nes a fait ses débuts fin 2007 avec la sortie de ce premier album Ames Room après une longue gestation de trois ans. Cette jeune chanteuse/compositrice norvégienne a en effet privilégié la beauté architectonique de son coup d’essai à l’épanchement discographique affectionné par d’autres. Et le résultat, dense et épuré à la fois, justifie à lui seul cette minutie jusqu’au-boutiste. Silje Nes compose comme elle échafauderait une installation plastique : en étirant méticuleusement les surfaces d’un lavis plus ou moins dilué. Rien d’étonnant pour cette plasticienne, qui s’y connait assurément en matière de cuisine picturale.

De formation classique, pianiste et plus si affinités, Silje Nes envisage la musique comme un tout, et cette conception holiste garantit un réel plaisir d’écoute, même sans être passé par un cursus complet de solfège. Tempo semblable à quelques battements près, thèmes sonores et palette réduite des effets sont autant de composantes du monde musical de notre petite fée norvégienne. «It’s dark as darkness goes» susurre t-elle dans l’ouverture “Over All”, bientôt secondée par des choeurs mutins et un xylophone qu’on croirait entendre à travers les volutes aquatiques d’une rivière cristalline. Le tableau est dressé : celui d’une douceur toute scandinave, d’onirisme et de mélancolie mêlés, celui, fugace et sucré, initié par Stina Nordenstam et consoeurs du monde entier : CocoRosie, Pram, Psapp

Tout comme les artistes mentionnées ci-dessus, le travail de composition chez Silje Nes dépasse la simple pop, car l’album entier n’est qu’une succession de boucles infinitésimales qui suivent de près ou de loin la langueur d’une vie ralentie sous ces latitudes lointaines. Silje Nes fait parfois l’économie d’un chant articulé et annone une succession de syllabes avec style, comme sur “Shapes, Electric”, dans un balancement autistique esthétisé. Mais, afin de ne pas diluer notre intérêt comme on raterait une aquarelle, Silje Nes agrémente en permanence ses compositions downtempo de gratouillis, bruitages de bric et de broc, interventions aléatoires de la flûte et autres clapotis aquatiques dont seules les ondines ont le secret. Les bidouillages imperceptibles de l’éponyme “Ames Room” ajoutent ainsi un brin de texture à une composition rêveuse qui manque de rythme. Régulièrement, la chanteuse s’appuie sur des instruments bien réels – guitare, piano, instruments à vent – pour réchauffer un peu le microcosme froid suggéré par la répétition des motifs mélodiques et vocaux. “Dizzy Street” résonne ainsi comme un titre ensoleillé que Yo La Tengo aurait pu signer récemment, tandis que “Bright Night Morning” et sa batterie en chair et en tambours confère à la norvégienne la carrure pop qui manquait à ses divagations informelles sous boîte-à-rythme.

Au fil de l’album, Silje Nes nous sert le jeu bien connu, et pourtant toujours efficace du “feu sous la glace”. Tantôt insaisissable et éthérée, apparition évanescente d’une mythologie scandinave contemporaine, la jeune fille sait se montrer frondeuse, comme sur le doublé lo-fi “Recurring Dream” / “Searching, White”. Peu après ce passage de bravoure, l’album choisit une clôture en demi-teintes, par une succession de quatre titres presque exclusivement instrumentaux, si l’on met de côté les chuchotements de “Melt”, qui feraient passer la chanteuse pour un improbable double féminin scandinave de Iron & Wine ou les couplets spartiates de “Escape”. Ambiances boisées habitées d’un harmonium, sonorisations métalliques, arpèges égrenés au vent : Silje Nes la nymphe aquatique cultive soudain une parenté inattendue avec ses cousins arachnéïques Migala. Et comme avec ses avatars espagnols, une rêverie méditative finit toujours par nous gagner. Preuve en est que Ames Room est l’illustration d’un monde, certes déjà largement balisé, qui envisage la musique comme prélude à toute divagation onirique.

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