Pour son troisième album, le Petit Prince Jonathan Morali nous réserve un album de folk-pop contemplative de plus en plus… absorbé.


Porté par le Zéphyr, Jonathan Morali nous revient à bord de son petit cumulus. Sans abuser des formules éculées, c’est tout de même peu dire que le premier lauréat du concours CQFD est sur un nuage : depuis ses débuts en 2002 et son premier album délicieusement artisanal A Whisper and a Sigh, puis son successeur, l’homogène Someday We Will Foresee Obstacles (2005), à la limite du conceptuel, le garçon s’est installé dans notre paysage musical hexagonal, artisan à contre-courant d’une pop éthérée et poétique, subtile évocation du saint triptyque Robert Wyatt / Pink Floyd / Nick Drake.

En France, dans un environnement rock complexé où l’illégitimité anglophile est entretenue, la présence du parisien a été une bonne chose et a contribué à l’émergence d’une scène indépendante amoureuse de la langue de Shakespeare, une petite fratrie émancipée où l’on s’entraide. Citons parmi eux les éminents partisans H-Burns, Chicros, Fugu, Tahiti Boy, New Pretoria, sans oublier l’expatrié américain Jasson Glasser aka Fruitkey – qui a d’ailleurs signé le centaure sur la couverture de Ghost Days. Cet esprit de confrérie musicale a également contaminé l’écriture : Syd Matters ne serait plus Jonathan Morali mais un groupe, les dernières tournées ayant rapproché le compositeur de ses musiciens Jean-Yves Lozac’h (basse), Rémi Alexandre (guitare), Olivier Marguerit (guitare et claviers) et Cléent Carle (cuivre).

Ghost Days, disque fantômatique ? Certainement, et ce à double-titre, voire double-tranchant… Premièrement, il est frappant de constater à quel point les disques de Jonathan Morali ralentissent de plus en plus, figurent l’épure ondoyante : arpèges boisés circulaires, mellotron, ondes Martenot, choeurs effacés… tout ce petit monde s’attarde à suspendre l’horloge, créant un espace flouté, suggérant une douce désorientation… Il ne s’agit pas seulement d’essaimer de jolies mélodies cotonneuses, mais plutôt d’esquisser une respiration ou retenir un sentiment. Telle serait la conscience esthétique de Syd Matters. Inconstablement, cette musique nous susurre à l’oreille des images personnelles, des tableaux : une jeune fille au milieu d’un champ pastel souffle sur un pissenlit, le souhait d’un voeu (le lointain “My Lover’s on the Pier”).

Deuxièmement, cet attentisme est hélas aussi, peut-être, le danger qui guette son monde en suspens. Ghost Days donne parfois l’impression de rester figé dans sa forme, que le spectre ne s’aventure guère loin des codes qu’il s’est imposé. On souhaiterait juste redescendre un peu sur terre de temps en temps, toucher un peu le relief pour mieux remonter. Ainsi, il faut attendre les dernières plages pour que le rythme subisse quelques perturbations : “Anytime Now !” marqué d’un point d’exclamation, un sursaut rock antonionien sans dénuement. On retiendra aussi les étranges tic-tac de “Me and My Horses”, qui reprend une mélodie de La question Humaine de Nicolas Klotz dont le groupe a signé la BO très planante l’année dernière – et qui a forcément (paradoxalement) accéléré cette emprise de la lenteur. Ou encore “It’s a Nick Name”, pop song accidentelle et mignon foutoir par ces traitements biscornus renouant avec l’insouciance du premier album.

Si Syd Matters a merveilleusement poussé sa ponctuation dans ses retranchements, à lui maintenant d’enrichir son langage, de lui apporter de nouvelles couleurs. On mettra donc ses légères absences sur le compte de l’étourdissement général, Ghost Days recèlant encore quelques belles dérives.

– Le site officiel de Syd Matters

– Lire également Syd Matters – Someday we will foresee obstacles

– Lire également l’entretien de Syd Matters (juin 2004)