Un bar calme du quartier de Ménilmontant, un combo acid rock inquiétant, des clients au regard inquiet… Là où passent les Canadiens chevelus et mal rasés de Black Mountain, les fleurs (de cannabis) ne repoussent pas. La veille à La Maroquinerie, les gallois de Super Fury Animals, avec qui ils devaient partager l’affiche, ont déclaré forfait. Libre alors d’investir le sous-sol des lieux, le pic obscure de Stephen Mc Bean a célébré une grande cérémonie en l’honneur du Wizzard, devant un public exorcisé.


Complices, le batteur Joshua Wells ainsi que Matt Camirand (basse) et Jeremy Schmidt (claviers) mènent la barque de l’entretien sur un ton tantôt collaboratif, tantôt sardonique. Stephen McBean, lui, reste en retrait. Difficile d’imaginer que cette ombre lente et l’air ailleurs – regard malsain tout de même – est le gourou de cette montagne colossale. Le leader barbu parle peu aux premiers abords, mais dévoile son jeu : les flèches qu’il lance à votre humble interlocuteur sont empoisonnées. Quant à Amber Webber, la sombre sirène, elle ne pipera mot de tout l’entretien et se défilera même pour la dernière question rituelle… Ambiance.

Pinkushion : La pochette d’In the Futur rappelle les couvertures des romans de Frank Herbert et des vieilles pochettes de groupes de hard rock des années 70.

Jeremy Schmidt (claviers, également responsable de l’artwort) : C’est comme un collage photo. J’imagine que cette impression est due au fait que les images sont vieilles et ont été tirées de magazines et livres des années 60 et 70. Cela imprègne certainement le résultat. On voulait que le visuel puisse retranscrire cette musique, quelque part épique et cinématique.

Les premiers albums des Pink Mountaintops et de Black Mountain empruntaient le même visuel. Est-ce que pour ce second album de Black Mountain, la pochette reflète une volonté de changement ou de direction musicale ?

Jeremy Schmidt : Et bien c’est un album différent (rires) ! Les deux premiers albums sont sortis quasiment au même moment, je pense que c’est la seule raison. Je ne pense même pas qu’on a évoqué l’idée d’associer ou de rendre différent ce disque visuellement. C’est juste notre nouvel album avec une nouvelle couverture. Mais d’une certain manière, c’est toujours assez similaire, il n’y a pas de photo du groupe. Au fond, l’image appartient à l’album.

Stephen McBean : (ndlr : sortant de sa léthargie, d’une voix lente et carbonisée) Si tu enlèves la partie inférieure de la pochette avec le cube et que tu laisses le paysage, cela donne la pochette du premier album à nouveau. (rires)

Jeremy Schmidt : C’est comme un Rubik’s Cube (rires).

Stephen McBean : On aimait bien cette vision du futur dépeinte dans les bouquins des années 70 et les groupes de cette période, toutes ces choses qui ont disparu comme les voyages intergalactiques… D’une certaine manière ce futur qui est dans le passé.

Eprouves-tu de la nostalgie pour cette période ?

Stephen McBean : Non, non…

Matt Camirand : Disons qu’on éprouve plutôt de la nostalgie pour le futur. Ce futur nous manque.

Le line up de Black Mountain n’a pas changé depuis le premier album, mais il persiste toujours une confusion d’identité entre les deux groupes. Quelles sont les différences entre ses deux formations

Stephen McBean : Ce sont deux groupes complètement différents.

Matt Camirand : Black Mountain, ce sont les gens que tu as devant toi, tandis que Pink Mountaintops regroupe seulement une partie des membres présents ici avec d’autres musiciens.

Stephen McBean : Je pense qu’il y a juste une confusion sur le fait que ces deux albums soient sortis dans un laps de temps assez proche. A cette période, peu de gens écoutaient notre musique, alors peut-être que les médias ont associé le disque de Pink Mountaintops car c’était plus facile ainsi. Mais ce sont deux groupes différents, avec ses propres musiciens et ses propres chansons.

Le fait est qu’au départ, Black Mountain pouvait être interprété comme l’un des projets solo de Stephen McBean.

Stephen McBean : Black Mountain est l’oeuvre de cinq musiciens et non pas d’une personne.

Jeremy Schmidt : Pink Mountaintops est davantage le projet de Steve. Il travaille chaque fois avec d’autres personnes, c’est davantage sont projet solo. Black Mountain est enregistré par nous cinq.

The Pink Mountaintops a un côté sexuel plus revendiqué, tandis que Black Mountain se veut plus « heavy ». Etes-vous d’accord ?

Jeremy Schmidt : Oh oui.

Matt Camirand : Black Mountain est « Heavy » et sexuel aussi, mais d’une manière différente. Mais bien sûr, le premier album de Pink Mountaintops contenait des textes spécifiquement sexuels, c’était un album concept. Black Mountain est davantage un album concept sur… quelque chose d’autre (rires).

Stephen McBean : Chacun dans le groupe a l’opportunité de s’exprimer à travers d’autres projets comme Lighting Dust (ndlr : le duo de Amber Webber et Joshua Wells), Blood Meridian (ndlr : le projet de Matt Camirand) ou les Pink Mountaintops. Et parfois, il arrive que ces musiciens, ces Canadiens très occupés se réunissent ensemble. Beaucoup de groupes font de la sorte, c’est typiquement quelque chose de canadien. Par exemple Dan (ndlr : Bejar) joue avec Destroyer


Photo : Pascal Amoyel

La musique de Black Mountain parait de plus en plus épaisse et dense à la fois. Quelle est votre manière de procéder pour l’écriture des chansons ?

Matt Camirand : Il y a différentes méthodes. Certaines chansons existaient depuis déjà deux ans, nous les rôdions depuis un bon moment en concerts. D’autres chansons étaient nouvelles, nous les avons enregistrées en studio au mois de janvier l’année dernière sans avoir aucune idée de la tournure qu’elles allaient prendre ; donc c’est un petit peu un mélange des deux. Certaines compositions ont nécessité beaucoup de temps et d’autres sont plus spontanées.

Joshua Wells : Pour beaucoup de morceaux, Steve apporte une démo. “Night Walks” était une démo d’Amber… Pour un autre morceau par exemple, cela a commencé avec la basse de Matt.

Stephen McBean : La plupart de mes démos sonnent comme des versions « feu de camp ». Si Jeremy décide de rajouter huit minutes de silence sur le morceau, cela peut devenir ennuyeux, mais nous essayons quand même…

Jeremy Schmidt : …C’est pourquoi Steve enregistre ses démos seul, ensuite on fait le ménage. (rires)

Une chanson comme “Bright Light”, qui dure 16 minutes, possède une forte dimension épique.

Matt Camirand : Oui, nous l’avions en tête depuis deux ans. Nous la jouions parfois sur scène avant l’album d’une manière différente. Petit à petit, nous l’avons développée, étirée…

Stephen McBean : Oui, celle-ci a pris beaucoup de temps pour complètement apprivoiser ce qui se dégageait dans l’air. Je veux dire, que cette chanson est probablement le parfait exemple de l’évolution de Black Mountain. C’est un peu notre bébé, une somme de ces trois dernières années. Nous la jouons depuis notre première tournée, elle a subi des transformations sur scène et au fil des voyages…

Vous avez produit vous-même votre premier album. Cette fois divers producteurs ont participé à l’enregistrement (John Congleton, Sheldon Zaharko, Dave Sardy). S’autoproduire, est-ce une volonté de garder le contrôle de votre musique, ou est-ce simplement une question d’ordre financier ?

Stephen McBean : Un peu de tout ça. Parfois c’est aussi une question de finances. Certaines personnes avec qui on aurait souhaité collaborer sont mortes, d’autres trop occupées…

Matt Camirand : Parfois, c’est tout simplement plus facile de travailler ainsi pour aboutir à ce que nous avons en tête. Quelqu’un de disponible n’est pas forcément capable de lire dans nos têtes.

Jeremy Schmidt : Chacun d’entre nous à déjà par le passé enregistré des chansons par lui-même, chez lui. Nous avons donc une petite expérience de la chose, même si c’était sur un quatre-pistes ou autre. Je sais que Josh sait utiliser l’équipement studio, il peut donc comprendre notre travail. Il est en partie capable d’être producteur.

Stephen McBean : Nous n’avons pas mixé cet album, John Congleton (Explosions in the Sky) l’a fait en l’espace d’une semaine. Parfois, tu as envie de tout contrôler, mais il est aussi préférable parfois de savoir se décharger d’une certaine partie du travail. Tout le monde veut que le disque sonne exactement comme dans sa tête, mais si le résultat peut s’avérer différent, voire meilleur, c’est une bonne chose.

Jeremy Schmidt : Bien sûr que cela compte pour nous d’avoir un avis extérieur. Nous comprenons que c’est aussi bénéfique que de laisser quelqu’un partager sa propre expérience avec nous. C’est comme pour le mec qui a mixé notre album, nous lui avons envoyé les démos et expliqué ce qu’on voulait précisément. Mais, en même temps, bien que nous étions toujours impliqués, nous sommes arrivés à un point où nous n’étions plus assez objectifs sur notre musique. Finalement, nous avons été surpris par son travail. Mais si ce le résultat n’était pas bon, nous l’aurions jeté à la poubelle.

Stephen McBean : Nous avons laissé la production à Dave Sardy sur un titre, “Stay Free”. Pour ce morceau, ce fut notre décision, et nous étions heureux de lui faire confiance. C’est bien que ce ne soit pas toujours pareil. Pour John Congleton, il connaissait le groupe et aimait notre travail. On n’arrêtait pas de se dire « on devrait y aller », ce genre de connerie. Et puis finalement, on l’a fait…

Amber chante aussi sur l’album. Comment décidez-vous de qui se réserve la partie chant ?

(Amber reste silencieuse…)

Stephen McBean : On ne sait pas au départ, cela vient assez facilement lorsque nous jouons. Tout dépend de comment fonctionne le morceau.

Pouvez-vous nous éclairer sur le sens des paroles ? Vous parlez souvent de démons, du diable, mais ce sont finalement des images très humaines…

Stephen McBean : Je ne sais pas d’où viennent les paroles. Tu essaies de faire sortir quelque chose qui se rapproche de l’humeur de la musique. Je peux les sortir rapidement, et d’autre fois il faut se bousculer un peu. Evidemment, elles ont un thème, un sens, mais parfois elles se laissent porter par le morceau. Si la chanson est en La mineur, elle dicte une humeur triste… C’est assez personnel d’évoquer des paroles, c’est comme si tu parlais de ta mère morte ou quelque chose dans le genre. (rires)

En France, les paroles ont une valeur importante, même primordiale par rapport à la musique. Tandis qu’en Angleterre, les mélodies prennent le dessus. On a toujours tendance à vouloir comprendre leur sens.

Matt Camirand : J’ai toujours pensé à ce sujet que si tu es écrivain, tu écris des paroles, et c’est ainsi. Mais si tu veux parler de paroles, alors pourquoi n’écris-tu pas là-dessus ? Les gens peuvent essayer de comprendre les paroles ou sont libres de les interpréter à leur manière, c’est toujours bien plus intéressant ainsi.

Stephen McBean : Il y a cette anecdote de jeunes qui m’avaient écrit car ils avaient été touchés par les paroles d’une de mes chansons, et puis ils ont finalement découvert que je parlais en fait de mon chat qui était en train de chier sur le sol. Plutôt épique… (rires) Certaines paroles sont des blagues personnelles et puis d’autres peuvent être inspirées par des choses graves comme la maladie…

Est-ce que vous sentez proche d’autres groupes psychédéliques comme The Warlocks de la Côte Ouest ?

Stephen McBean : Il y a bien sûr beaucoup de groupes avec qui nous partageons certainement la même collection de disques. En écartant le côté musique de la chose, on peut aussi se sentir proche de certains groupes en raison de la manière dont ils gèrent leur carrière, leur façon d’appréhender l’aspect commercial… Des groupes comme Dead Meadow, Comets on Fire ou encore Howlin Rain, le nouveau groupe d’Ethan Miller, ils ont signé sur le label de Rick Rubin.

Et existe-t-il une sorte de communauté de musiciens psychédélique à Vancouver ?

Matt Camirand : (rires) Non. Il n’y a rien, il n’y en a jamais eu d’ailleurs. La musique acid rock à Vancouver il y a dix ans, c’était… tu étais vraiment considéré à part si tu voulais en faire. Il y a un tout petit peu plus de groupes dans cette tradition psychédélique maintenant, et qui semblent plus intéressants. Je ne me souviens pas de vieux groupes psychédéliques originaires de Vancouver, peut-être les Legendary Pink Dots ? (rires) (ndlr : perdu, ce sont des londoniens expatriés à Amsterdam).

Jeremy Schmidt : Je crois qu’il y avait un groupe qui s’appelait The Seeds of Time, à la fin des années 60 (rires).

Vous avez enregistré le morceau “Stay Free” pour le film Spiderman. Comment s’est présentée cette opportunité ?

Jeremy Schmidt : Dave Sardy, qui est un producteur de Los Angeles, était chargé de produire la BO de Spiderman 3. C’était un fan du groupe. Il avait carte blanche pour inclure les groupes qu’il souhaitait sur le disque, et c’est ainsi que nous avons collaboré. Ce fut une super expérience qui a débouché sur notre album, car la chanson était bonne. Mais la chanson ne figure pas dans le film, seulement sur le CD !

C’est assez fréquent dans les grosses productions hollywoodiennes.

Joshua Wells : C’est très typique, ces chansons n’ont rien à voir avec le film. Ils appellent ça une « une stratégie de campagne marketing » pour la maison de disque, ou quelque chose dans le genre…

Vous ne savez donc pas si Sam Raimi est fan du groupe ?

Jeremy Schmidt : Je ne pense pas. C’était vraiment le coup de coeur de Dave Sardy.

Stephen McBean : Tobey McGuire est venu nous voir lors d’un de nos concerts à New York et L.A. C’était plutôt cool. Il portait son uniforme noir, c’est plus approprié pour jouer du jazz. (rires)

Une dernière question, pouvez-vous me donner vos cinq album favoris ?

Jeremy Schmidt :

Pink FloydAtom Heart Mother

Amon Düül IIYeti

Kate BushHounds of Love

Roy HarperStormcock

Spacemen 3Playing with Fire

Stephen McBean :

Black Sabbath S/T

Black SabbathParanoid

Black SabbathMasters of Reality

Black Sabbathvol.4

Black SabbathSabotage

Joshua Wells :

XTCBlack Sea

The CurePornography

Pink FloydMeddle

CanSountracks

Eric DolphyOut of Lunch

Matt Camirand :

The UnintendedS/T

Minor ThreatComplete discography

Wu-Tang Clan36 Chambers

NWAStraight Outta Campton

Bruce SpringsteenNebraska

– Lire également la chronique d’In the Futur