Sans surprise, la couple formé par Sébastien Tellier et une moitié de Daft Punk accouche d’un album indigent.


Pas bandant pour un sou. Ainsi pourrait-on résumer les choses à l’écoute du troisième album de Sébastien Tellier. Et de décliner ensuite à l’envi les métaphores érotiques et autres dérives langagières sexuelles auxquelles le titre du disque nous invite sans doute sans complexe. Mais à la masturbation verbale préférons plutôt l’objectivité froide. On nous croira sourds, du genre à prendre la mouche, mauvais public, un rien rouspéteur. Réflexe de survie plutôt, refus catégorique de porter au pinacle ces nouveaux héros qui se voudraient boeuf altier et farfelu quand ils ne sont que captive grenouille pataugeant dans la marre de la « culture jeune ».

Derniers mots de Sexuality : « Dis-moi ce que tu penses de ma vie, de mon adolescence / Dis-moi ce que tu penses, j’aime aussi l’amour et la violence ». Tout d’abord quelques notes de piano intimistes, égrenées du bout des doigts, puis vient une nappe de synthé très années 80 qui monte progressivement, s’impose dans les Air et s’enfuit comme le temps, pour laisser réapparaître les premières notes entendues, esseulées. Tout est là. L’effet confidence : l’épilogue déchirant du musicien nostalgique qui vient de fantasmer en dix morceaux sa jeunesse, tout en admettant qu’il est devenu autre. L’effet comme-si-vous-y-étiez : le son synthétique d’une époque révolue reconstitué plus vrai que nature. L’effet je-suis-un-original-faut-que-ça-se-voit-et-occasionnellement-s’entende : la banalité passe-partout d’une ritournelle kitch associée à quelques mots aussi évasifs que vaseux, le tout élevé au rang d’absolu artistique.

Plutôt, bravade sans enjeu. Sexuality est un disque sans importance, parfois « écoutable », le plus souvent consternant. Signe des temps : la ringardise et la dérision y ont pignon sur rue, à la variété datée et de mauvais goût – devenue tellement celle du jour qu’elle en a perdu tout pouvoir corrosif – est accordée toutes les faveurs. L’attachement que porte manifestement Tellier pour les années 80, des émissions du samedi soir de Michel Drucker aux films érotiques produits pas Marc Dorcel, en passant par les délires mégalomanes de Jean-Michel Jarre, ne serait en soi pas problématique s’il n’était associé à une stérile logique de répétition mimétique et paresseuse. A la mort qui avance, Tellier oppose moins une impertinence bouffonne qu’un fétichisme adolescent et creux, content de lui-même (cf. la pochette du disque au pastiche bon ton). Du « sea, sex and love » il ne retient ainsi, en touriste de sa propre mémoire, que la vague ambiance estivale, le paysage de cartes postales, les silhouettes rêvées de corps féminins offerts au regard (“Roche”, en introduction béate, voyage musical « nouveau riche » amorcé par le bruit d’un avion).

Régressive, la démarche ne vise rien d’autre que l’autosatisfaction égocentrique – car s’il désire à longueur de chansons, Tellier se veut aussi assurément désirable, « Over the Top » quoi. Incapable de faire du quelconque, du léger, du superficiel, du trivial une matière vivifiante, il thésaurise les lieux communs du passé et les signes d’appartenance dans l’espoir qu’ils acquièrent sinon une valeur artistique estimable, au moins une légitimation mondaine. Car sous couvert d’impertinence Tellier est surtout un musicien chic et tendance (c’est-à-dire aimé pour ce qu’il représente, soit une pseudo extravagance), plus volontiers conservateur de musée que génial révolutionnaire. Tout le contraire du fantasque Katerine, en somme, autrement plus subversif avec ses textes jouissifs et décalés, sa manière de mettre en branle le petit monde pudibond du spectacle, de jouer son jeu avec la ruse de celui qui aspire à la profondeur ironique plutôt qu’au souffle dans le cou et la chaleur irradiante des projecteurs.

Que la chanson française sache se départir du sérieux qui plombe un auteurisme par trop littéraire galopant n’est pas pour nous déplaire. Encore faut-il qu’elle lui oppose un rire consistant, et non un ricanement surfait, qu’elle cite (au hasard Gainsbourg et Christophe pour les plus respectables) sans ressasser, avec le souci d’interroger le monde dans lequel elle prend racine, la volonté de le mettre en crise, d’en proposer une autre vision. Pas plus que Politics n’était un album politique digne de ce nom, Sexuality questionne notre sexualité contemporaine avec perspicacité. Éculé, abreuvé à la source d’un romantisme niais, l’album présente à ce sujet autant d’intérêt que les pages soi-disant brûlantes d’un roman à l’eau de rose et aura tôt fait de refroidir l’ardeur des plus curieux. La sexualité de Sébastien Tellier, confite dans un imaginaire étroit, se résume à un rituel à la finalité convenue, accumulation de pensées juvéniles et poncifs rarement transfigurés par les mots.

Tout comme la musique. La production de Guy-Manuel de Homem-Christo, moitié des Daft Punk, ne parvient que trop rarement (“Divine”, tout de même, sait séduire l’oreille) à apporter ce sel orgasmique qui ferait de Sexuality un grand disque. Littérales et prévisibles, les sonorités pop ne se départissent pas de l’héritage des années 80 auxquelles elles renvoient, collant à une esthétique factice pas plus recommandable aujourd’hui qu’elle ne l’était autrefois, sans arriver à féconder de nouveaux territoires. Quoi de plus attendu pour un album dit « sexuel » que d’entendre des gémissements de plaisir façon « Je t’aime moi non plus », des rondeurs dans tous les coins, des harmonies lascives à foison, une voix langoureuse et des envolées planantes assez chiantes. Point de décalage, d’étrangeté stimulante, de magie hédoniste, de propositions excitantes. Que du décorum et du tape-à-l’oeil démagogiques. Pas bandant pour un sou, on vous le dit !

– La page Myspace de Sébastien Tellier