Mark Eitzel et sa troupe sont peut-être de vieux marins sur le retour en manque de reconnaissance publique, mais ils ne cèdent pas au chant des sirènes. Leur truc à eux, c’est la grâce, contre vents et marées…


Vingt-cinq ans d’une carrière chaotique, ça pose un groupe, surtout quand l’écriture s’affine avec le temps. Il n’est rien de dire que Mark Eitzel a essuyé bien des orages avant d’aboutir à The Golden Age, un disque merveilleux de bout en bout. Les creux et les vagues, les tempêtes et les vents nuls, les coups de soleil comme les coups de grain, après avoir esquivé bon nombre de périls (souvent auto-infligés), il était temps que le Californien rentre dans la baie de San Francisco. La bonne nouvelle, c’est qu’il le fait accompagné de son groupe, American Music Club, au mieux de sa forme malgré quelques remaniements de line-up successifs.

Premier élément marquant, la voix d’Eitzel, magnétique et fugace, n’a jamais été aussi parfaite, louvoyant entre les registres sans jamais perdre cette suavité si caractéristique, ce mélange entre langueur et dégoût. Seul ou accompagné (même mal), il a toujours transcendé ses oeuvres par un chant parfaitement juste, celui qui perd l’auditeur, évoquant les pires horreurs avec une douceur inégalée, ou au contraire maltraitant ses cordes vocales pour crier son bonheur. Et ici, il atteint des sommets.

Au-delà, The Golden Age est un voyage dans les arcanes du folk américain des 70’s, alliage subtil et parfois ronronnant de bois (guitares), caresses (batterie), et souffle (quelques cuivres). On retiendra du neuvième album d’American Music Club une volonté affichée de calme, de sérénité. Ne pas bousculer l’air ambiant pour mieux rêver, revenir sur soi. Ceci n’empêche pas quelques semeurs de troubles, insectes menaçants et probablement dangereux tel le refrain orageux de “The Stars”. Mais le groupe, rompu aux turbulences de l’âme, ne fléchit plus et reste bien campé.

Les vieux loups de mer tirent leur énergie de l’autre grande force de The Golden Age, ses chansons. Il serait injuste d’oublier qu’Eitzel est avant tout un grand songwriter un peu trop à l’écoute de ses obsessions, et qui a su, en vieillissant, raboter, tailler au biseau, poncer, pour tirer de sa pièce la sculpture la plus fine possible. Maniant le verbe avec une aisance jamais démentie, il offre ici des textes d’une beauté à couper le souffle, tels le récitatif “The Decibels and the Little Pills”, “The Windows of the World” (son post-9/11 à lui) ou “The Grand Duchess of San Francisco”, rêves éveillés qui, comme souvent chez le barbu, sont le contraire de roses et linéaires.

D’autant plus remarquables que les compositions sont toutes d’une précision spectaculaire, tracées au cordeau, justes et fines, faisant mouche à chaque écoute. Portées par un son ample et généreux, des constructions harmoniques (y compris vocales) en apesanteur et une interprétation à la fois chirurgicale et tellement émouvante, les treize vignettes de The Golden Age décrochent la lune, mieux, l’éclipsent. Même quand le ton se relâche le temps d’une valse légère et amusante, “I Know That’s Not Really You” et ses trompettes mariachis, les Californiens ne se départissent pas de leur classe cabossée et naturelle, désormais tatouée ad vitam aeternam sur leurs carcasses.

Dernier détail, soulignons, à l’heure du téléchargement forcené, une photographie magnifique du groupe sur la jaquette qui prend toute sa valeur quand The Golden Age déploie ses ailes – tout en lui donnant une couleur volontiers sombre et grave qu’il essaiera de contrer.

Le poids des mots, le choc des photos, et la force des compos. Mark Eitzel et ses mercenaires sont cette fois bel et bien de retour, plus forts que jamais.

– Leur MySpace

– Leur site officiel