En égrenant ses Sons Cardinaux, chansons abandonnées au fil des ans, Dominique A continue d’en découdre avec le passé, comme il l’a toujours fait.


Deux notes grêles jouées à l’harmonica qui se répètent plusieurs fois… Puis une voix commence à chanter a capella, chargée de trémolos dramatiques, sans ironie aucune. Une voix à l’âge incertain, juvénile mais déjà trop sérieuse pour être une voix d’enfant. La mélodie semble au moins en partie improvisée et le texte est parfois maladroit, touchant dans sa maladresse, mais le plus souvent juste beau. Bientôt la voix se tait, à nouveau les deux notes d’harmonica. Elles le cèderont vite à la voix et ainsi de suite…

Ça s’appelle “L’agonie d’un Soleil” et le plus frappant ici est que le jeune Dominique Ané (il a 12 ans) fait déjà du Dominique A. Déjà cette trame musicale à la fois « pompeuse et minimaliste » comme il le dit lui-même dans le long texte qui accompagne ce coffret. Déjà il est question de souvenirs trop lourds à porter, lui qui en a encore si peu. Souvenirs d’un pays qu’il va falloir « quitter pour toujours ». L’enfance peut-être. Pourquoi pas ? Dominique Ané est encore un enfant mais il chante déjà au passé, comme il le fera dans toutes les chansons à venir.

Credit Photo : Pascal Amoyel


Il n’est pas interdit de voir dans ces Sons Cardinaux la conclusion d’une période dont l’avenir dira si elle a été charnière, période que, d’un coffret (Le Détour en 2002) à l’autre en passant par la biographie Les Points Cardinaux (2007), on pourra en exagérant à peine caractériser par « l’obsession rétrospective » qui a semblé animer Dominique A. Se raconter, dresser le bilan des années passées, est-ce bien différent de ce que Dominique A a toujours fait : tenter de solder les comptes, voire régler son compte à un passé qui a depuis toujours constitué la matière de ses chansons ? Passé dont ne se remet pas, passé somme toute banal mais qui continue de peser, dont on voudrait se défaire mais qu’on est incapable de se résoudre à laisser derrière soi. De l’universel et magnifique “Echo” de 1992 qui, au travers de la métaphore des bruits voués à être suspendus « à l’infini », pressentait déjà que la lutte perpétuelle des souvenirs contre l’oubli serait (hélas ?) toujours victorieuse, à l’autobiographique “Rue des Marais” de 2006, Dominique A n’a jamais creusé que ce seul sillon, portant haut « un coeur où chaque mot [aura] laissé son entaille » (cf. P. Reverdy).

Se vider, expulser le passé en l’embrassant tout entier d’un seul geste et enfin pouvoir le regarder calmement, peut-être même avec une bienveillance attendrie, mais sans regret pour qu’enfin cesse le tiraillement entre l’oubli et le souvenir. Voilà peut-être ce que cherche Dominique A au travers de ce coffret qui, en exhumant des morceaux oubliés, abandonnés au fil des années, s’apparente à une biographie musicale, donne à entendre la construction et l’affirmation d’une personnalité.

Ce processus n’aura pas été linéaire, loin de là. On l’a dit à propos de “L’agonie d’un Soleil”, l’essentiel était là dès le début, il s’agira dès lors de revenir à soi plus au terme d’un long parcours, au cours duquel on se sera successivement perdu puis retrouvé plusieurs fois. Ainsi avec “Tous Les Dimanches” Dominique Ané, alors chanteur du groupe John Merrick (aka « Elephant Man ») joue une new wave certes très présentable mais bien moins personnelle que ses improvisations préadolescentes. Au fil des quatre disques que renferme le coffret (“Est”, “Ouest”, “Nord” et “Sud”) il sera facile de faire le lien entre les morceaux présentés et les étapes successives de l’oeuvre du grand (pas encore) chauve : ainsi “Il Faut Etre un Fantôme” (en course pour le concours du meilleur titre de chanson au monde) et “Points de Mire” s’inscrivent dans la période Un Disque Sourd (1991) / La Fossette (1992) tandis que “Un Albedo” (très belle mélodie), “Cent Escaliers, Cent Paliers” (très « pas mal » sans plus), “Tout Plutôt Qu’Aujourd’hui” (très… déroutant… mais en fait très bien) renvoient à Si Je Connais Harry (1993) (même minimalisme lo-fi que La Fossette avec un peu plus de guitare et un peu moins de synthés cheap, et en moins bien quand même,), etc. Rien par contre (hélas) que l’on puisse inscrire dans la magnifique parenthèse glaciaire qu’aura constitué Remué (1999).

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Rien non plus, semble-t-il, qui ne se rapporte au semi-échec Tout Sera Comme Avant (2004) (chansons inégales, dilution d’une personnalité musicale dans des choix d’arrangements souvent contestables).

On retient entre autres deux chansons étonnamment abouties – et étonnamment laissées de côté à l’époque – de la période Auguri (2001 – maturité rock, belle production johnparishienne) : “Décrocher Les Trains”, sa belle mélodie doublée au piano et son texte aussi obscur qu’évocateur et “La Renverse” refusée à l’époque par John Parish. On remarque aussi deux chansons récentes moins abouties mais pleines de belles promesses à moitié tenues : “Endermonde” et “Le Pont Face aux Trois Tours” qui vaut surtout pour sa seconde partie sombre au texte splendide.

Mais la plus belle pièce de ces Sons Cardinaux est sans doute celle qui les conclut et vient « boucler la boucle » comme dit son auteur. “Entre Mes Bras” ressemble en effet à “L’Agonie D’un Soleil”, mêmes images, même minimalisme (on pense aussi encore une fois à “L’écho”) sauf qu’ici, ce n’est plus l’enfance qu’il faut quitter mais la vie elle-même, un jour (« je voudrais mourir dans la plaine… »). Sauf que cette fois-ci, c’est serein et baigné d’« une belle lumière d’été ». Alors peut-être la boucle est-elle bouclée, les comptes soldés et la paix faite avec tout ce contre quoi on était en guerre, à commencer par soi-même. On le souhaite à Monsieur A, mais du bout des lèvres seulement, de peur qu’il ne lui reste plus beaucoup à chanter.

– Lire également la chronique du live de Dominique A, Sur Nos Forces Motrices