Et si, malgré les antennes radars omniprésentes, le meilleur disque de rock alternatif de ces six derniers mois nous était passé sous le nez ? Séance de rattrapage, avec les oreilles cette fois.


Inexplicablement passé sous silence lors de sa sortie en octobre dernier, le deuxième album du séminal trio The Forms est pourtant l’un – si ce n’est LE – disque de rock alternatif le plus excitant entendu ces six derniers mois. Ironie du sort, ce trio est implanté à New York, rampe de lancement d’autorité mondialement reconnue, ayant fait ses preuves avec Vampire Weekend, Interpol, Strokes & compagnie. Leur destin semblait tout tracé… Malheureusement, les ressorts de propulsion se seraient enraillés leur tour arrivé, comme victimes d’une malédiction inconnue. Déjà, lorsque leur premier album Icarus sort en 2003, le trio se brûle les ailes malgré lui, perdu dans la vague revival post punk des Liars, Yeah Yeah Yeahs et Interpol. Une injustice tant The Forms auraient pu hautement se distinguer s’ils s’étaient délocalisés à Chicago, fief du label Touch & Go et de quelques formations vibrantes telles que Shellac, Bedhead et Slint avec lesquelles ils entretiennent incontestablement quelques appétences bruitistes. Pris d’ailleurs sous l’aile d’un des producteurs héros de la ville d’Urgences, Steve Albini, leur premier effort faisait preuve en seulement 10 titres et 17 minutes d’une belligérance rock singulière, certes pas encore totalement canalisée, mais déjà captivante dans son aptitude à tordre les harmonies voix/guitares et à renouveler des fulgurances noisy promptes à rallumer la mèche (bougie ?) d’un Sonic Youth d’antan.

Cinq ans après Icarus, ce second opus éponyme lui est supérieur. Toujours supervisé par Albini, le combo s’écarte aujourd’hui des sentiers hardcore pour établir de nouvelles donnes plus sophistiquées. La guitare électrique brouillonne d’antan, bourdonne aujourd’hui littéralement, et surtout, elle s’est alliée à un piano ionisé : tous deux s’enchevêtrent dans les progressions mélodiques, élaborant dans cette matrice des torsades soniques tout à fait surprenantes. Un pied dans le précipice expérimental tout en conservant, de l’autre, l’équilibre ludique des mélodies. The Forms renvoie littéralement à Pinback pour ses progressions harmoniques labyrinthiques, à Battles pour la géniale pulsion rythmique, et enfin, croyez-le ou non, aux saillantes harmonies vocales des Shins. Un bien singulier ménage à trois que nous avons là, mais l’alchimie fonctionne, sidère même régulièrement.

La synergie entre le chanteur/guitariste Alex Tween, le bassiste/clavier Rob Stillwell et le batteur Matt Walsh pourrait laisser la vague impression d’exploiter les mêmes schémas tarabiscotés sur ces douze plages. Mais, en vérité, il y a ici tellement de précision et de ressources qu’à chaque nouvelle pérégrination un nouvel espace passionnant est à conquérir. On reste pétrifié par la tension crescendo de “Knowledge in Hand”, ce piano qui se pose d’abord apaisé, puis s’aligne sur la graduation montante du volume de distorsion des guitares, jusqu’au déchaînement vocal détonant d’Alex Tween. Dans cette prouesse de la dissonance, les strates dessinées par les guitares électriques sont dextrement ligotées à des nappes atmosphériques diffuses (“Getting It Back”), et les rayons de guitare alpha aveuglent sur le bien nommé “Alpha”. Passée sous un kaléidoscope electro-shoegazing, la dilatation d’un manche de Fender sur “Blue Whale” pourrait certainement servir de nouveau modèle pour la classique pochette de Loveless.

Le mur du son est tel qu’il n’est pas aisé de saisir le sens des paroles d’Alex Tween, enfouies sous les couches nivelées par Albini qui, pour le coup, prend un pied incroyable à jouer les Kevin Shields. De toute façon les mélodies, incroyablement addictives, se chargent de faire passer le message toutes seules. Tout bonnement incontournable pour les inconditionnels de perfusions guitaristiques.

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