Finalement, pas la peine d’aller chercher en Normandie ce que les trublions de Supergrass savaient déjà si bien faire : de la pop, du rock, et des tubes à la pelle. La preuve avec ce sixième album qui sonne comme un classique du groupe. Ni plus, ni moins…


D’abord, un riff de basse. Puis, une grosse caisse sur marche militaire, suivie de près du même riff initial mais à la guitare cette fois. Quand vient le chant, pas de doute, il s’agit bien de Jack White qui nous refait son “Seven Nation Army”. Et au bout de 40 secondes de White Stripes, retournement de veste, nous voilà en compagnie des Who des débuts. Ce morceau, agaçant au départ, puis tordant, et finalement jouissif, c’est “Diamond Hoo Ha Man”, le titre d’ouverture du sixième album de Supergrass. Et en moins de 3’30, Gaz Coombes, affublé d’un évident talent d’imitateur, et ses potaches d’acolytes se seront bien marrés, renvoyant dos à dos référents britons et concurrents ricains, choisissant clairement leur camp d’origine bien sûr, tout en envoyant bouler les cousins d’Outre-Atlantique d’un violent coup de pied dans les parties.

Le ton est donné, plus question de psychédélisme, d’expériences de studio ou autre album concept en hommage à une autoroute normande (puisque pour ceux qui connaissent, sur Road To Rouen en 2005, c’était l’A16 qui était mise à l’honneur, présentant la particularité de récupérer tous les Britanniques descendus à Calais). Diamond Hoo Ha sonne le retour à la charge des vieux Supergrass, remontés comme Big Ben. Le rock britannique actuel et son armée de jeunes recrues n’ont qu’à bien se tenir, les fantassins reprennent du service. Et ce n’est rien de dire que les guitares les démangeaient sérieusement à en croire cette succession ininterrompue de brulôts pop-rock.

Ce premier étage délesté, sans trop brûler du kérosène de la fusée Diamond Hoo Ha, le voyage sonique prend sa vitesse de croisière, c’est-à-dire à fond de cale. Enfin, à fond de cale pour Supergrass. Car le combo d’Oxford est surtout légendaire pour son pop-rock cannabique, racoleur juste ce qu’il faut, un tantinet abruti, toujours attachant et sympathique, et surtout hyper efficace.
Sans atteindre les sommets d’In It For The Money (1997), Diamond Hoo Ha est bien supérieur à la dernière livraison bruitiste du combo, Life On Other Planets (2002), et ça c’est une sacrée bonne nouvelle. Hormis les 40 secondes yankees introductives pré-citées (un quart d’heure américain à la vitesse du son), il s’agit bien de la pop britannique qui est revisitée ici, toutes ses époques et ses faits d’armes les plus légendaires. Ses acteurs les plus représentatifs y sont tous plus ou moins ravivés. Et en premier lieu The Who, très régulièrement, tant Gaz Coombes chante (hurle serait plus exact) comme Roger Daltrey – “Bad Blood”, “345”. Plus loin, c’est David Bowie période Scary Monsters qui est cité sur la bien nommée “Rebel In You”, ou encore sur “The Return Of…”. Quant aux Kinks, ils traversent de manière régulière les onze titres de ce nouvel effort, tantôt subrepticement, tantôt de manière clairement affichée – “Ghost of a Friend” et ses harmonies vocales solaires, avec toutefois un détour passager chez Bob Dylan le temps d’un refrain désabusé. Même Supertramp (vous ne rêvez pas, vous avez bien lu Supertramp !) a droit de cité sur quelques notes de claviers bien senties. La liste serait longue, et ce qui impressionne ici c’est la capacité à mélanger les styles, les époques et des groupes aussi énormes avec une telle aisance.

Il serait naturel de penser qu’une longue litanie de références est souvent synonyme de manque d’inspiration. Supergrass démontre tout le contraire. D’abord, le désormais quatuor (deuxième album consécutif où Rob Coombes est crédité en tant que membre à part entière, ayant toujours refusé jusque là pour cause de timidité maladive) n’a plus rien à prouver. Si sa carrière n’a pas toujours été d’un niveau exceptionnel, sa discographie a régulièrement fait état d’un savoir faire incontestable en matière de songwriting énergique. D’ailleurs, quand Supergrass fait du pur Supergrass – la triplette de fin “Whiskey & Green Tea”, “Outside” et “Butterfly” -, les tympans crient miséricorde alors que les jambes luttent pour rester attachées au sol.
Et il y a cette énergie débridée dans l’exécution, appuyant la voix toujours géniale du benjamin Coombes qui lui fait voir du pays sur Diamond Hoo Ha. Car même sur des compositions moyennes, le groupe a toujours fait preuve d’un plaisir non feint et d’une puissance de feu que rien n’a jamais pu altérer, surtout pas le poids des ans ou l’arrivée de la nouvelle génération. Plutôt grands frères que vieux cons sur le retour, dotés d’une forme olympique qui plus est.

Quand on réalise que ces éternels ados comptabilisent six albums sur plus de 15 ans de carrière, on se prend à rêver de l’existence d’un élixir de jouvence, caché quelque part à Oxford. Et les Supergrass ont dû tomber dedans quand ils étaient tout petits, pour le bonheur de tous, même des Romains.

– Le site officiel