Ce Canadien aborde la country-folk west coast avec un détachement dangereusement contagieux. Manque juste un petit truc pour nous faire définitivement adorer ce disque : une bière bien fraîche.


Guitariste de Broken Social Scene de son état, Jason Collett, en solo, aspire à la coolitude, au calme, voire à la glandouille. Here’s To Being Here est un album (son troisième) à écouter couché dans l’herbe, une pâquerette entre les orteils, le panama usé sur les yeux. Collett entend avant tout rendre hommage à la musique west-coast des années 70, lui offrant un ravalement de façade de grande qualité sans négliger l’écriture pour autant. Et l’hommage se transforme en vrai tour de force, celui de rajeunir cette musique un brin surannée et vaine en mode de vie.

Il fait chaud chez Collett, la chemise de flanelle colle au dos, le soleil tape dur, mais on s’en cogne. Ne pas se presser, surtout, prendre son temps. Laisser glisser les syllabes, faire traîner les phrases, suivre les congas – “Charlyn, Angel of Kensington” -, ne pas brusquer la nature. A l’occasion, enfourcher un vélo ou un cheval, au gré de l’humeur du moment, de la hauteur du mercure dans le thermomètre. Mais ne jamais s’en faire.

Jason Collett cultive la nonchalance avec un panache de poche imbattable. Le genre de gars qui a la classe en slip de bain bleu pétrole et serviette Mickey sur l’épaule. Parce qu’au delà de l’attitude, cet homme cache un talent certain pour trousser des chansons instantanément adorables (ou détestables pour peu que l’on exècre Eagles ou America par principe), trimballant sa barbe de trois jours entre le bitume fondu des autoroutes de l’Ouest américain et la poussière texane à l’occasion de quelque virée résolument folk – “No Redemption Song”, un régal. Mais là où le chanteur excelle, c’est quand il se lance dans les ballades romantiques, nocturnes, guidées par un piano délicat, faisant preuve d’une tendresse et d’une sensibilité touchantes, lyrique et sincère, sans faux semblant – “Somehow”, “Henry’s Song”.

Sous la houlette de son compatriote Howie Beck, entouré de Andrew Whiteman (en plus d’être son collègue chez BSS, ce dernier mène de front Apostle of Hustle), Tony Scherr (vu aux côtés de Norah Jones) et Liam O’Neil (The Stills), Collett a enregistré live, à la maison, un album charnel, charnu même. La production toute en rondeur tisse un écrin parfait pour sa voix éraillée comme s’il avait fumé trois paquets la veille. Les arpèges de guitares accrochés aux branches des arbres du bord de route, pliant sous la chaleur, osent à peine tancer l’harmonica qui s’aventure là, accompagné d’un melodica rigolard jouant dans les feuilles avec les rayons de soleil. Même quand il lève le ton, tout en gardant son mid-tempo sensuel, Collett, lui, ne cherche jamais l’ombre, et transmet sans peine son état de quasi-stupeur, cet état cotonneux que l’on ne quitterait pour rien au monde – “Waiting for the World”, à faire pâlir de jalousie Josh Rouse.

Le débonnaire chanteur aime tellement ce rock west-coast qu’il s’est même amusé à composer un morceau énervé comme on en pondait au kilomètre à l’époque, reproduisant à l’identique, jusqu’aux défauts avec ces six-cordes bavardes et, il faut le dire, plutôt ridicules – “Not Over You”. Mais ce morceau colle tellement à ce style, se fond tellement bien dans cet album par ailleurs délectable qu’il contribue pleinement à sa réussite. Here’s To Being Here aurait même manqué de quelque chose sans cette petite touche lourdaude.

Nous voilà avertis, les goûts changent avec le temps, y compris les plus mauvais. Mais c’est si bon de se laisser prendre au jeu.

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