D’emblée, l’enchevêtrement de lignes noires sur fond blanc du livret évoque le graphisme de l’album du saxophoniste américain Roscoe Mitchell paru l’année dernière, Composition/Improvisation Nos. 1, 2 & 3. Et pour cause, Boustrophedon constitue son pendant européen, Mitchell ayant passé le relais de la direction du Transatlantic Art Ensemble au saxophoniste britannique Evan Parker – déjà présent sur le précédent disque, tout comme Mitchell l’est sur celui-ci. À la baguette et sur des bases similaires (dresser des passerelles flexibles entre les musiques, soi-disant antagoniques, écrite et improvisée), Parker, accompagné d’une formation étoffée de quatorze musiciens, propose une suite décomposée en huit mouvements qui évolue comme une succession de vagues sonores inquiétantes et contrasrées. Loin d’opposer simplement la composition à l’improvisation, de les faire alterner comme deux entités bien distinctes, ce dernier cherche au contraire à les nouer et dénouer au sein d’un ambitieux écheveau musical, soutenu par des cuivres, des cordes, une batterie et un piano (exploré par un remarquable Craig Taborn) qui puisent leur inspiration autant dans la musique contemporaine que dans le free jazz. De cet indécidable mouvement de l’un vers l’autre résulte une tension permanente qui fait tout le sel de Boustrophedon, chaque morceau donnant le sentiment de pouvoir basculer à tout moment dans une forme de chaos organisé, comme en atteste la subite explosion de cuivres de “Forrow 3”. Hantée par sa propre chute, cette matière sonore, contingente et accidentée, porte en elle les traces de conflits, de luttes et de bouleversements telluriques qu’une telle expérience musicale appelait manifestement de ses voeux.
– Le site de ECM