Avec pour seule compagnie sa guitare électrique, Carla Bozulich livre des versions live, sobres et dépouillées, de ses chansons. Poignant.
Alors que l’on écrivait, il y a quelques semaines à peine, tout le bien que l’on pense de Hello, Voyager – assurément un des grands disques de 2008 -, on imaginait pas que l’on se consacrerait aussi vite à la chronique d’un nouvel album de la décidemment incontournable Carla Bozulich. Mais voilà, au hasard de notre surf quotidien sur le Net quelques clics fructueux nous ont permis de découvrir cet objet rare, tiré à seulement 300 exemplaires, aussitôt commandé : un concert solo donné par l’Américaine dans les locaux du label allemand Unsound Recordings, à Krefeld, le 13 juin 2007. Dix morceaux (six originaux, trois covers, un traditionnel) interprétés à la guitare électrique, parfois complétés d’effets de pédales additionnelles, et entrecoupés d’applaudissements chaleureux. Des instants précieux donnant à entendre une voix et un corps qui s’incarnent dans le présent du jeu, forgent d’autant mieux leur présence qu’ils se retrouvent orphelins du monde dans lequel ils évoluent d’habitude sur disque.
En soi, l’idée d’une prestation intimiste de la musicienne avait tout pour appâter nos oreilles déjà conquises, Carla Bozulich nous ayant habitués à chanter sans tricher, parfois au bord de la rupture ou de l’effacement, la mort entre les dents, la vie plein les poumons. Mais cette belle mise à nue, de par la frontalité qu’elle autorise, a le mérite de nous la révéler autrement : superbe de simplicité et de fragilité contenue, aux antipodes de toute surcharge émotionnelle. Aller à l’essentiel, sans fioritures ni esbroufe, peser chaque note avec justesse, donner à chaque mot la puissance d’une flèche qui ne saurait faillir à toucher sa cible. Rien de plus. Mais toute la grandeur de ce set tient justement dans ce « rien » qui se substitue au « plus ». Dans cet art du retrait, ce pas de côté, cette façon d’être au coeur de la musique que l’on joue. Cette propension à accéder à la plénitude avec humilité, comme en témoigne admirablement l’interprétation de “Blue Eye Crying In The Rain”, un morceau d’obédience country (des accents country que l’on retrouvera aussi plus loin sur “Marmelade”) repris sobrement, sans chercher à en dévoyer le classicisme épanoui. Le contraire d’une timidité mal inspirée : le risque souverain de contrer sa nature extravertie afin de se confronter à l’ordinaire d’une vie exposée sans fard.
Passer ainsi de l’ombre à la lumière nécessite tout un cérémoniel. Comme sur ses albums studio, Carla Bozulich soigne sur Unrock Instore Gig Series Volume 4 son entrée – et sa sortie. L’album débute ainsi par une “Intro” où est rendu le brouhaha de la salle de concert. Suivent ensuite des premiers accords tâtonnants à la guitare qui vont progressivement accaparer l’attention de l’auditoire. Puis se font entendre simultanément des frottements de cordes, des effets d’amplification et une mystérieuse voix allemande préenregistrée. Avant qu’émerge dans le lointain celle, calme et légèrement brouillée, de Bozulich, se rapprochant peu à peu à mesure que les accords de guitare électrique égrenés prennent également le pas sur la masse sonore environnante (“Evangelista II
”). Il y a là d’emblée comme une manière de mettre en scène et en son sa venue, de travailler la matière sonore avec de chiches moyens qui ne font toutefois pas l’économie d’une démarche cohérente : la musicienne arc-boute au départ le set sur une esthétique identifiable pour qui a écouté ses précédents disques (atmosphères oppressantes, couches sonores opaques, bruits parasites, chant fantomatique), afin d’aller dans un second temps vers une forme d’épure et de sobriété reconduites tout au long des titres suivants. Comme si pour montrer ce qu’elle est, Carla Bozulich se devait de laisser entendre d’où elle vient.
Si le répertoire convoqué est principalement extrait de ses deux albums sortis avant 2007 (I’m Gonna Stop Killing en 2004, Evangelista en 2006), les morceaux en question, déshabillés et plus vivants que jamais, font résonner la qualité d’écriture de Bozulich au-delà du principe de dévoilement en jeu ce soir-là. Chaque morceau, net et sec, a l’évidence d’un classique, décolle sans forcer, résonne avec force et pudeur. Il faut alors attendre l’avant-dernier “Nel’s Box” pour que la musicienne se dissimule de nouveau derrière ses pédales d’effets indiquant par là que la parenthèse intimiste tend à s’achever. Cela avant une version vibrante de “Pissing”, qui clôt l’album, sur laquelle le rendu rocailleux de la guitare électrique et la proximité de la voix poussent les portes de la nuit pour accéder au sublime. Un finale qui se voit couvert d’applaudissements. Joignons les nôtres sans la moindre hésitation.
– La page MySpace de Carla Bozulich
– Le site de Unsound Recordings