Numérotez vos abattis, ce deuxième album est un énorme bourre-pif à tous ceux qui n’ont que moyennement cru à ce groupe, nous y compris. C’est bon, on retiendra la leçon.


Ladyhawk, quartet basé à Vancouver, nous avait quelque peu déçus avec un premier album éponyme à moitié réussi. A vrai dire, pour faire, court, les cinq premiers titres déchiraient tout, les cinq autres essayaient de réparer les dégâts. Pas très rock’n’roll tout ça. On écrivait d’ailleurs d’eux qu’il leur fallait quelques baffes, et il y a fort à parier que leur idole et compatriote Neil Young s’en est chargé lui-même. On entend d’ici le sermon : « les gars, le Crazy Horse, quand il matraquait ses guitares, à la fin il ne restait que du sang et un peu de sueur sur scène ; alors virez-moi ces bouchons des oreilles et balancez la purée ! ». Leçon entendue, le bien nommé Shots en est la preuve irréfutable.

D’abord il y a un rock furibard et enjoué comme le Loner l’a chéri en 1969, avec grosse cavalerie, riffs cinglants et son poussiéreux (mais gros son quand même). D’ailleurs, l’ambiance un brin légère des trois premiers titres de Shots, tirant l’évidence mélodique du folk-rock vers des contrées souvent traversées mais toujours revisitées avec joie quand elles sont honorées comme ici, est une invite à pousser le volume, notamment pour bénéficier à plein du finale tonitruant de “Fear”. Et ce serait une bonne idée de suivre la consigne parce qu’à partir de là, on change de cieux. Car voyez-vous, il semblerait que les quatre barbus de Ladyhawk n’aient que très moyennement apprécié la volée de roustes sus-citée.

Dès les premières notes de “Corpse Paint”, l’ambiance devient marécageuse pour finir dans un bain de sang au bout des dix minutes de “Ghost Blues”. Le folk-rock rigolard et un brin braillard du début cède en effet la place à un blues-rock malade, torturé. “(I’ll Be Your) Ashtray” commence sur des accords bluesy tout à fait conventionnels, mais cette voix digne du meilleur Kurt Cobain au moment d’enregistrer “Rape Me”, gluante et comme alcoolisée, augure d’un futur proche plus que décadent. Et la suite confirme puisque la chanson s’achève brutalement après une agonie sadique de guitares.

Le disque suit logiquement son cours en s’enfonçant toujours un peu plus dans la fange, les titres s’étirant toujours plus en longueur, comme irrésistiblement attirés par le soleil noir que sera le morceau final. Peut-être “Night Beautiful” serait-elle la chanson la moins consciente de son destin avec ses choeurs féminins pompés au “Walk on the Wild Side” de Lou Reed, jovialité assez rapidement contrariée par ces mêmes guitares toujours meurtrières. Puis il y a “You Ran”, un titre qui tente de s’échapper avec sa rythmique de feu, son refrain shooté aux amphétamines et ses guitares (et oui, toujours elles) qui se carapatent comme si elles avaient le feu aux fesses ; mais c’est peine perdue, la course s’arrêtera au bout de 1’45.

Et à ce moment précis, tout bascule, le reste ne semblant plus, a posteriori, qu’une lente préparation au déluge “Ghost Blues”, un embaumement vivant pour être plus vite englouti dans la poix de ces dix minutes maladivement dégueulasses. La première moitié de “Ghost Blues” est… un blues crasseux, noir, mais somme toute classique. D’un classicisme franchement honorable quand même, l’enregistrement live conférant à l’ensemble une patte violemment acide. C’est au bout de cinq minutes qu’on ne comprend plus ce qu’il nous arrive, quand la batterie s’emballe, littéralement trucidée par les baguettes. Les guitares entrent alors dans une danse chamanique terrifiante, faisant corps autour de la basse asphyxiée, et tranchant la gorge du chanteur qui éructe dans un cri littéralement déchirant. Et la cavalcade meurtrière reprend dans un lent crescendo étouffant, haletant, aboutissant logiquement à un déluge d’électricité. Mais la surprise vient du finale, quelques arpèges africanisant évoquant une danse de la mort, comme si les spectres des musiciens dansaient autour de ce qui reste de leurs corps, se repaissant de la charpie abandonnée là.

Voilà, la messe est dite, il ne faut pas énerver des folk-rockeurs, sous peine de les pousser aux pires extrêmes. Ladyhawk en est la preuve : séduisant au départ, et vous dévorant littéralement à l’arrivée. Et entretemps, on se sera d’abord fait écarteler, puis éviscérer. Ce disque s’appelle Shots et ressemble à s’y méprendre à notre requiem.

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