On dit des crocodiles qu’ils seraient les derniers dinosaures. The Charlatans sont donc les crocodiles de la brit-pop. Et ils ne semblent pas près de s’éteindre.


Il est des groupes ou artistes qui font des entrées fracassantes dans l’histoire musicale, souvent sur la foi d’un premier album énorme, confirmé ou non. Il en est d’autres qui l’imprègnent durablement sur la longueur d’une carrière à l’évolution remarquable, passant de simples exécutants en fers de lance. Et il y a le gros des troupes qui persévèrent après avoir péniblement commencé, lâchant régulièrement des disques de bonne tenue en pâture, mais dont le terme révolution semble seulement accolé au poster du « Che » qui les suit depuis leur adolescence ; de ces groupes dont on se soucie peu et pourtant on sait qu’ils sont là, chacune de leurs sorties étant toujours une bonne nouvelle. The Charlatans est typiquement ce genre de combos qui, s’ils étaient restés anonymes, n’auraient manqué à personne. Mais ils sévissent encore, depuis 1989 même, et viennent de livrer leur neuvième album.

Déjà, que les fans se rassurent, il n’est plus question d’easy listening de supermarché comme sur le précédent Simpatico (2006). You Cross My Path signe même le grand retour des guitares. D’emblée précisons même que Tim Burgess et sa bande sont en pleine forme. En à peine un peu plus de 36 minutes, les vieux briscards de Manchester renouent avec un rock fiévreux et direct, faisant l’impasse sur un psychédélisme inutile. D’ailleurs, de ce dernier ne restent que quelques claviers, quelques nappes perdues au milieu de guitares flamboyantes – seules “My Name Is Despair” et “The Misbegotten” sont les exceptions qui confirment la règle, celle-ci comme en écho au Get Ready de New Order (2001), autre sacré disque de retour en provenance de Manchester.

D’abord il y a ce que l’on regarde en premier, l’allure générale. De ce point de vue, la carrosserie du neuvième effort du groupe rutile, brille de mille feux. La production catchy, comme d’habitude signée Tony Rogers, est taillée sur mesure pour les arrangements qui fourmillent: les petits bleeps comme les gros riffs, la basse louvoyante et la batterie olympique, tous ont leur place dans cette sonorisation spatiale mais jamais dégoulinante. Le mixage d’Alan Moulder n’a plus qu’à la restituer.

Deuxième pilier du disque, les chansons, tout simplement. Les dix titres initiaux, ainsi que les trois nouveaux offerts dans la version CD (l’album avait d’abord été mis à disposition des internautes, au prix de leur choix… oui, cela devient chose courante, sauf qu’ici, les inédits sont à prix abordable par tous), sont autant de torches lancées en pleine vitesse dans une citerne d’essence. Mélodieuses sans perdre de leur hargne, chacune se pose en effrontée, bravache et presque arrogante. Si la santé de Tim Burgess a peut-être fléchi au cours de la carrière cahotique de son groupe, sa verve, elle, est restée intacte. Le titre éponyme, ses instruments qui viennent un à un se vautrer sur les autres et son refrain volcanique, “A Day For Letting Go” qui fait la nique aux Manic Street Preachers, la furieuse “Missing Beats (Of A Generation)” ou encore l’ineffable “Bad Days” et sa basse vintage, autant d’incontestables preuves de la force de frappe encore inaltérable de la vieille garde de Manchester.

Enfin reste l’énergie de la bande qui, si elle a dépassé la quarantaine dans sa majorité, n’a rien à envier à de plus jeunes flambeurs. The Charlatans en ont encore gros sous la pédale, et semblent repartis pour un moment.

Si l’histoire, même musicale, est faite de grandes défaites et de petites victoires, celle que vient de remporter The Charlatans n’est pas la moindre.

– Leur site officiel