La pop à haute percussion de ce duo californien va filer des crampes à l’avant-garde new-yorkaise. Sur des guitares folk racées et des mélodies géniales, The Dodos affole la mesure. Impérial.


On avait appris sur les bancs d’école que l’espèce du dodo avait été définitivement éradiquée par l’homme voilà plus de trois siècles (avouons, en trichant un peu, merci Wikipedia !). Et voilà qu’un oeuf miraculeusement cryogénisé de ce grand oiseau blanc naïf aurait éclos en Californie. Tâchons de les préserver cette fois, d’autant plus que l’apparence décharnée de leur musique pourrait par inadvertance faire passer certains criminels dessus. Ce duo de San Francisco, qui n’a gardé de l’animal que l’innocence, sort son deuxième long format sous licence Frenchkiss, le premier autoproduit étant passé complètement inaperçu. Avec un sens rusé de l’économie, Meric Long (guitare, chant) et Logan Kroeber (batterie, percussions) nous entraînent dans un tourbillon de rythmiques et d’arpèges secs ensorcelant. Chose d’emblée inhabituelle dans cette pop-folk, les percussions se posent à jeu égal avec les mélodies. Si les pincements de guitare roots et la voix élégamment fluette forment un socle mélodique somme tout assez traditionnel, The Dodos s’avère diligemment à double tranchant. Car se sont les pulsations tribales de la batterie – très en avant – qui dictent étroitement le phrasé guitare/voix d’un Meric Long perverti.

En misant sur le tout acoustique, The Dodos se libère des contraintes, pourrait taper le boeuf au coin de la rue sans même prendre la peine de se raccorder à une prise électrique. Sauf que Visiter s’avère par là même un redoutable tour de force studio. Sous des arrangements bien camouflés, l’esprit naturaliste – comprendre lo-fi – revendiqué s’avère trompeur. Chaque titre témoigne d’une volonté de moderniser quelques idiomes centenaires : les égaliseurs de la console sont poussés dans leurs derniers retranchements, à tel point que certains instruments ne paraissent plus ce qu’ils sont. Une guitare folk se dissout ainsi au son d’un ukulélé, voire un banjo, ou peut-être un crincrin. Le volume des cordes sature sur “Joe’s Waltz”, feignant d’endommager les pistes pour en définitive produire un son blues crasseux, un Acme groovy qui résonne aussi stylisé que pouvait le faire avec maestria le Jon Spencer Blues Explosion. Les qualités portées au mixage rappelleront les investigations d’Animal Collective débarrassées de ses convulsions electro psychédéliques, pour en substance ne conserver qu’un squelette charnel, émotionnel. Et en tendant bien l’oreille sur ces quatorze plages étonnantes, se révèlent progressivement des incursions electro, un piano, un glockenspiel, et même des cuivres…

La transe afro-folk de The Dodos se refuse de tomber dans les structures pop télégraphiées mais n’en demeure pas moins galbée et magnétique. Propulsé par un tempo d’enfer, “Paint The Rust” déverse une salve bottleneck deltasonique à souhait. Prière de rester cramponné, les double-croche(t)s rythmiques de “Jodi”, qui décroche le titre de la plus insidieuse pop song de l’été, nous menacent d’être semés par nos propres baskets. Le single “Fools” prend même l’accent de Glasgow en passant pour une démo bossa désarticulée de Franz Ferdinand. La concurrence est prévenue, il sera difficile de rattraper cette paire sacrément futée. Les dodos tiennent enfin leur grande revanche sur l’homme.

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