Jim James a-t-il définitivement pété les plombs ? Ce serait bien possible tant il continue à courir dans tous les sens depuis l’accident Z. Pour autant, cette course frénétique vers le grand n’importe quoi commence à devenir sympatique.


Décidément, il semblerait bien que les descentes en flammes et les coups de tatanes balancés à My Morning Jacket pour Z (2005) n’aient même pas effleuré Jim James, le boss. Premier reproche à l’époque, très discutable, avoir délaissé l’americana que le groupe de Louisville avait sublimée dans une emphase majestueuse ; deuxième reproche, bien plus tangible, s’être complètement perdu en voulant toucher à des genres très éloignés de ce qu’il faisait de mieux, au mépris du savoir faire et de la crédibilité, pour le résultat que l’on sait : un fourre-tout boursoufflé assez indigeste, ici et là traversé par quelques éclairs rappelant la capacité d’écriture de l’illuminé en chef. Evil Urges est en effet coulé dans le même moule qui cherche à multiplier les pistes pour mieux s’égarer. A ceci près que My Morning Jacket s’en retourne à nouveau intégralement vers la musique américaine dans son ensemble, ce qui est en soi déjà rassurant. En outre, Jim James revient occasionnellement, par petites couches, à ses premières amours et c’est dans ces moments, trop rares, qu’il brille de mille feux. Car l’homme responsable de It Still Moves (2003) ne peut pas être totalement manchot.

My Morning Jacket a provisoirement délaissé son Kentucky natal pour aller enregistrer ces quatorze titres à New-York. Non pas en cédant à une quelconque mode géographique sévissant actuellement sur le rock d’outre-Atlantique, mais, selon les propres termes de Jim James, pour se mettre en danger, rompre avec des automatismes. Si on le savait déjà capable d’une telle expérience musicale, on est en droit de se demander ce que cela peut signifier de plus pour un musicien dont l’art consiste désormais à contourner ses racines et les frotter à des horizons pour le moins étrangers, même pour un rendu douteux. Or, il faut plutôt voir dans ce déménagement de circonstance l’opportunité pour lui de se jucher sur le plus haut gratte-ciel de la grosse pomme afin de couvrir du regard 40 ans de pop américaine. Car c’est bien de cela qu’il s’agit sur Evil Urges, un grand panorama de tout ce qui a construit la légende de la musique américaine dans son versant le plus solaire. Et cette culture, passée par le prisme du doux dingue, en ressort tantôt moquée, tantôt célébrée avec faste, tantôt simplement magnifiée. Et la somme de tout ceci constitue un album bordélique, azimuté, mais presque jamais médiocre ou même simplement facile.

Il serait dommage de s’arrêter à une première écoute hâtive tellement elle ferait craindre une mort violente par étouffement sous cette orgie d’arrangements, cette cascade de mélodies cavaleuses ou ce déluge de cordes. Car derrière cette vitrine surchargée se cache une boutique bigrement bien achalandée, débordant de babioles et recelant des trésors inestimables. Ainsi, après avoir passé la barrière des quatre premiers titres, qui revisitent tour à tour les déflagrations kitsch de Van HalenEvil Urges -, les sonorités synthétiques des 80’s – “I’m Amazed” et “Touch Me I’m Going To Scream, pt.1” (dont on préfèrera largement la “pt.2”), soit deux façons de faire revivre Tears For Fears – ou les délires proto-funky synthé-tocs – “Highly Suspicious”, ou l’incarnation-même de la laideur -, on est cueilli par la délicieusement west-coast “Thank You Too !”, petite sucrerie qui n’est pas sans évoquer ce flan de Paul Young perverti par les Shins. L’album prend à ce moment une autre tournure.

Doté d’une voix increvable, Jim James se permet ainsi de tacler sauvagement America sur “Sec Walkin”, un titre moins bateau et plus profond qu’il en a l’air, qui, en plus de dévoiler un imitateur formidable, fait de lui un chanteur de charme tout à fait crédible, capable désormais de séduire autant avec l’americana que les grosses ficelles de la pop. Sans compter que sont talent pour tailler des diamants (éternels) n’a pas totalement disparu, loin s’en faut. Ainsi, “Librarian” et “Look at You”, judicieusement placés l’un après l’autre, sont d’authentiques merveilles pop-folk à faire passer Band Of Horses pour de jeunes blancs-becs. Ces deux titres ont d’ailleurs l’immense mérite d’illuminer le reste de l’album, mais James, tout remarquable songwriter qu’il est, ne se prive pas pour maquiller ses compositions, voire les torturer comme si elles n’étaient que de vulgaires poupées.

Autre élément qui crève les enceintes, c’est la place laissée à la rythmique. En effet, James semble avoir digéré le départ de Quaid et Cash et libère complètement son batteur Patrick Hallahan, qui s’en donne à coeur joie, notamment sur les morceaux les plus enlevés, solidement épaulé à la basse par un Two Tone Tommy en titane. Et même quand MMJ piétine les plate-bandes du Boss Springsteen – “Aluminium Park” – ou louche du côté de Motorhead (en plus gentil quand même) – “Remnants” -, la troupe s’en tire plutôt convenablement, sans atteindre le génie des deux titres pré-cités, ou tout simplement l’éclat des trois premiers albums.

Ainsi, My Morning Jacket fait fi des commérages et des médisances et continue à tracer sa route, guidé par un chef de troupe à la boulimie incorrigible. Et après avoir risqué perdre son âme, la troupe la reprend au creux de son bras pour l’emmener ailleurs. Et peu importe si tout le monde n’arrive pas à suivre. En attendant, on préfèrera toujours un groupe pétri de “Good Intentions” qui s’aventure sans peur de trébucher plutôt que de tisser encore et toujours une même toile, s’ankylosant en même temps qu’il perd de vue l’essentiel : le fait que la musique est un art vivant qu’il convient donc d’alimenter. Mission dont s’acquitte admirablement My Morning Jacket.

– Leur site officiel