Petit miracle anachronique, Fleet Foxes vient porter la bonne parole pop-folk avec un merveilleux premier album pastoral où l’humble artisanat le dispute à la grâce de chansons raffinées et un verbe particulièrement inspiré.


Il faut être un peu gonflé, tout de même, pour illustrer la pochette de son premier album avec un tableau de Pieter Bruegel, en l’occurrence Les Proverbes flamands (1559). Tout de suite, ça vous situe un groupe, du côté du grand ouvrage et de tout le tintouin artistique — quand ça ne lui met pas illico un boulet au pied. Et que nous disent au juste ces Proverbes (plus d’une centaine auraient été répertoriés) ? Que l’humanité est une sacrée mascarade. Sous l’abord foutraque et joyeusement débridé, à travers la bonhomie et les facéties, coule un pinceau saignant qui s’évertue à pointer les travers politico-religieux de son temps. Voilà encore qui vient sérieusement alimenter les velléités érudites affichées.
Et pourtant. De tous les groupes récemment entendus, Fleet Foxes compte indéniablement parmi les plus modestes. Pas de casse-tête arty, non, mais le passé et le présent qui jouent une sarabande. Une poignée de chansons délectables lancées à l’auditeur qui se rappellent au bon souvenir d’une folk des origines. Des voix à l’unisson baignées de reverb (de loin les plus belles harmonies vocales entendues depuis des lustres, excepté chez nos amis brésiliens), guidées par le chant à la fois céleste et pur de Robin Pecknold — qui ne manquera pas de rappeler par moments celui de Jim James (My Morning Jacket) –, des objets en bois avec quelques cordes de nylon tendues dessus, de délicates mélodies avec des mots dedans, souvent teintés de mélancolie. Cet univers s’avère immédiatement familier et touchant, sobre et classique.

Produit par Phil Ek (Modest Mouse, Built to Spill, The Shins, Band of Horses), qui a su comme à son habitude apporter cette patine sonore délicieusement rustique, Fleet Foxes fait la démonstration de la suprême consistance du passé, sans se priver d’honorer le présent et l’intelligence. Son songwriting méticuleux, son verbe universel et les subtilités harmoniques glissées ici et là, qui viennent agréablement temporiser l’impression de simplicité, concourent à situer le disque hors des modes, dans une brèche temporelle où l’éternel retour dicterait sa loi sans muséification paresseuse.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, sous leurs apparences de légèreté, les chansons des cinq troubadours de Fleet Foxes trempent plus d’une fois dans l’encre noire et se coltinent à la faucheuse, comme le signifie le dernier morceau imagé de l’album, dont le sujet n’est autre que la noyade d’un enfant. L’art de dire les choses graves sans les dire. Le Bruegel des Proverbes, donc. On aurait ainsi tort de ne voir chez les bardes américains de Fleet Foxes qu’un groupe passéiste de plus chaussant les sabots déjà bien usés du revival pop-folk — tendance Crosby, Stills & Nash feat Neil Young, sous la houlette des cousins de Fairport Convention. Dans ce contexte particulier et hyper fréquenté, le quintet de Seattle brille en raison de son aptitude à toucher l’essence du genre, sans en rajouter, cela avec l’intime conviction que la musique reste le plus beau vecteur d’émotions pour s’exprimer et se chanter entre les lignes, à l’abri des poncifs.

Comme dans le tableau de Bruegel (décidément bien choisi), sur Fleet Foxes les recoins et détails ont leur importance : c’est eux qui, accumulés les uns derrière les autres, font qu’à la fin, on obtient un disque du meilleur acabit, singulier sans être poseur. Ces légers basculements et écarts, parfois presque imperceptibles, qui font toute la différence — et souvent les grands groupes.
Cette guitare électrique saillante dans “Sun It Rise”, cette ligne de basse au mitan de “Ragged Wood”, suivie d’une batterie qui impose son alerte dynamique, cette guitare baroque d’accompagnement (située à gauche dans l’espace sonore) sur la superbe ballade “Tiger Mountain Peasant Song”, ce finale au piano sur “He Doesn’t Know Why”, cet instrumental aux accents celtiques parfaitement intégrés à une écriture pop (« Heard Them Stirring”), ce timbre de flûte associé puis fondu aux choeurs sur le sommet “Your Protector” ou, encore, ces arpèges orientaux joués à la mandoline sur “Blue Ridge Mountains” : on pourrait ainsi à loisir répertorier sur Fleet Foxes les incursions instrumentales qui ménagent des éléments de surprise et enrichissent la palette chromatique. Toutes ces finesses d’arrangement décelées sous le charme immédiat des mélodies qui font que, sans être fondamentalement original, l’album tient, équilibré, cohérent dans ses emprunts stylistiques, presque mystique dans sa façon d’embrasser les grands espaces américains (la nature inonde de sa présence, tantôt charnelle, tantôt spirituelle, la plupart des textes). Assurément, du bel ouvrage.

– Le site de Sub Pop

– La page MySpace du groupe

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