Cette jeune britannique émigrée à Brooklyn tisse autour de sa mélancolie des étoles raffinées imprégnées de parfums d’enfance. Un petit bijou en lévitation.


Sur la pointe des pieds, guitare en sourdine, et voix profonde, c’est ainsi qu’Essie Jain, 29 ans, se présente au monde. Tellement discrète que ce dernier, généralement sourd à la délicatesse, aurait pu lui marcher dessus sans le moindre scrupule, et sans même s’en rendre compte. C’eût été un gâchis monumental tant l’univers dans lequel la jeune chanteuse nous invite est exactement en harmonie avec les états d’âme déliquescents de bon nombre d’habitants de ce monde bruyant et écrasant. Pas étonnant, dès lors, que son premier album ait mis un an pour traverser l’Atlantique – elle réside depuis longtemps à New-York -, et qu’il arrive chez nous au moment précis où elle s’apprête à sortir son second album.

Un piano, parfois une guitare, de temps en temps quelques cordes qui volètent ici et là sont les quelques frusques que revêt la voix si chaleureuse et envoûtante de la jeune femme, et cela suffit amplement à créer une ambiance cotonneuse, évanescente même. Il faut entendre une fois “Sailor” pour comprendre combien il est délicieux d’écouter le silence s’installer et laisser paisiblement place à une mélopée d’une tristesse infinie, et qui pourtant ne sidère jamais complètement ; cette tristesse ne nous est pas inconnue, alors que nous aurions plutôt tendance à la refouler pour ne pas assombrir nos journées faites d’agitations superflues. Essie Jain est précisément cette petite voix qui nous glisse tendrement dans le creux de l’oreille qu’il est au contraire fortement indispensable d’écouter son subconscient, remiser quelques instants sa frénésie occupationnelle qui tire plus vers la vacuité que l’accomplissement de soi.
We Made This Ourselves, sous son classicisme absolu, révèle en creux la banalité (la normalité ?) de notre faiblesse pour l’ériger en force : c’est de notre fragilité que l’on tire le plus notre énergie. On dit d’un enfant qui lutte contre la maladie que, contrairement à l’adulte, il se soigne pour vivre alors que son aîné se soigne pour ne pas mourir ; en effet, quoi de plus fragile qu’un enfant malade, mais quoi de plus revigorant que l’optimisme communicatif et exponentiel de ce même enfant qui nous remet à notre place, celle de ce pauvre type qui se soucie de son CODEVI et du prix du gazole alors que ce qu’il a de plus précieux tient en trois lettres, sa vie ?

Essie Jain, par la grâce de ses mélodies enchanteresses et de ses arrangements faits de brindilles, nous fournit cette même énergie, mais en nous opposant qu’il ne faut jamais oublier où elle tire son essence. Ainsi, loin du tumulte ambiant, à des lieues du brouhaha artificiel, la jeune artiste nous invite à nous plonger dans notre soi profond et nous prouve combien sont nombreuses les merveilles que l’on peut y trouver, merveilles qui ne sont autres que des parties de nous – le titre de l’album le rappelle, nous l’avons fait nous-mêmes. Et même si ce voyage devait s’effectuer sans retour, elle ne nous offre pas moins que sa bande-son, et rien que pour ce cadeau, on ne peut qu’accepter de prendre son billet, et ainsi s’abandonner. D’autant que le négatif de notre environnement n’a rien de terrifiant entre ses mains. Indispensable à quiconque possède encore un soupçon d’âme (d’enfant) ici bas.

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