Après un Garden Ruin en demi-teinte, la bande de Tucson revient sur la pointe des pieds à ses premières amours pour un album qui sonne comme un classique du groupe.


Le graphisme de la jaquette est un signe avant-coureur, Calexico effectue un demi-tour au frein à main vers ce qui fit la personnalité du groupe, à savoir ce mélange festif et profond à la fois du folk poussiéreux de l’Arizona et des mariachis. John Convertino et Joey Burns reviennent festoyer dans cette triste ville qu’est Calexico, synonyme de sépulture pour de nombreux Mexicains candidats au rêve américain. Et ce retour aux sources (sociales autant que musicales) de la rivière asséchée de ce qui fit le mescal servi dans la Casa de Calexico est une excellente nouvelle.
Calexico a toujours été doté d’une remarquable capacité à produire une musique littéralement cinématographique, visuellement tangible : grands espaces, vent sec, soleil de plomb et goût du sang, tout ceci est prégnant et défile devant nos yeux à l’écoute des disques du groupe. Loin des clichés, des albums comme The Black Light ou Hot Rail portent haut la verve folk fouineuse de cette musique curieuse et ouverte au monde de ces pauvres exilés. Joey Burns et John Convertino, en s’éloignant de Giant Sand, n’en ont pas pour autant perdu le sens de l’aventure, un certain goût pour l’épure aussi, mais pas une épure intellectualisée, plutôt celle issue d’une nécessité d’économie de mouvements, l’évocation plus que la démonstration, les sous-entendus plutôt qu’une vérité assénée et forcément parcellaire. En voulant marier son univers à celui d’un peuple qui l’a touché, le duo a créé de toutes pièces une musique qui semble pourtant tellement évidente. Ensuite, progressivement, s’est construite une oeuvre plus complexe, plus anguleuse, notamment sur l’éclatant Feast Of Wire qui a vu l’americana regagner ses lettres de noblesse, figurant le cow-boy qui, au lieu d’accueillir le migrant en tant que tel, l’intègre dans sa culture, sa musique en l’occurrence, et le fond dans le décor.

Balayons d’emblée les velléités hispanisantes du groupe, sur deux titres de Carried To Dust : l’inaugural “Victor Jara’s Hands”, prometteuse cavalcade fauchée en pleine course par le chant convenu de Jairo Zavala, et surtout “Inspiracion” qui a plus à faire sur un album unplugged de Saint-Germain que du groupe de Tucson, car malgré tous les efforts déployés par Zavala et Amparo Sanchez pour ramener l’authenticité là où elle n’y est pas, on n’y croit pas une seule seconde. C’est exactement ce travers qui plombait Garden Ruin, en plus de chansons inabouties. Concentrons-nous plutôt sur la moëlle de Carried To Dust, c’est à dire tout le reste.
Ce septième album est à l’exact croisement entre les différents chemins musicaux qui firent la matrice des grandes heures du groupe. Les cuivres mariachis ont été à nouveau convoqués pour colorer ici une mélopée déchirante — “House of Valparaiso” –, ou là un orage sec — “Fractured Air”. Plus loin, ce sont les violons des mêmes horizons qui viennent appuyer une ballade toute en douleur rentrée — “The News About William”. Même “Trigger”, emblématique de The Black Light, est revisité avec fougue, voire une certaine touche d’humour sur “El Gatillo”. Quant aux origines country des leaders, elles sont omniprésentes. Que ce soit par l’intervention régulière et toujours aussi judicieuse de la pedal-steel, ou la collaboration avec la jeune Pieta Brown (auteure en 2007 d’un premier album fort recommandable) sur une “Slowness” toute en rondeurs suaves, on observe ici une volonté affichée de se reposer à nouveau sur ce qui fait le fondement du propos de Calexico. Volonté confirmée par une nouvelle collaboration avec Sam Beam (Iron And Wine) sur “House of Valparaiso”, nouvelle preuve de la magie émanant de cette association après un EP commun, In The Reins et une collaboration sur le dernier album de Beam. Même Douglas McCombs, de Tortoise, se perd en ellipses et circonvolutions sur “Contention City”, un titre mouvant qui échappe à toute case. Sans compter que tous ces efforts seraient orphelins s’ils n’étaient au service d’une écriture redevenue naturelle et toujours éclatante, en contact direct avec les poumons et très éloignée des muscles. Une écriture qui semble universelle et pourtant tellement identifiable, faisant de la paire Burns/Convertino une des plus fines équipes de songwriters du sud des États-Unis, avec ses coups de génies et ses petites faiblesses.

En se recentrant à nouveau sur ce qui fit le succès et l’originalité des débuts, Calexico renoue avec la réussite, sans atteindre toutefois le niveau (très élevé) des trois prédécesseurs de Garden Ruin. Et de prouver, si besoin, combien il est possible de créer une musique accessible par tous sans se perdre dans la compromission mercantile de la world music, ce concept réducteur et insultant créé par des labels en manque de crédibilité. Calexico érigé en modèle de droiture ? Pourquoi pas.

– Le site officiel