La petite Françoiz devient définitivement grande en signant pour la première fois tous les textes de son nouvel album. Résultat : de loin son meilleur.


Autant le préciser immédiatement, on adore Françoiz Breut. Sans faire de bruit, à l’ombre de ses amis, du bout des cils, elle tisse patiemment une discographie plurielle, profonde et intelligente. Après avoir offert ses services, puis mis sa jolie voix en libre service pour des complices multiples, elle prend enfin l’envol qui fera d’elle ce qu’on lui a toujours souhaité, une grande artiste aussi discrète que complète, un personnage essentiel dans l’horizon musical (entre autres) hexagonal. Compositrice, dessinatrice, illustratrice, chanteuse : il ne lui manquait définitivement plus que l’écriture. C’est désormais chose faite avec À L’Aveuglette, quatrième étape d’une carrière pointilliste et passionnante.

La bonne idée d’avoir attendu aussi longtemps pour entrer pleinement dans la construction d’un album, c’est qu’elle a pu exercer ses talents de compositrice sur ses précédents essais, les frotter aux plus imposants de ses camarades — le dernier en date, Une Saison Volée (2005), en est logiquement le meilleur exemple — pour aligner maintenant les partitions sans peine. Et se concentrer au mieux sur les mots.
La surprise est de taille. On savait la Belge d’adoption abreuvée aux meilleures sources, on ignorait seulement qu’elle s’en repaissait et laissait bourgeonner en son sein une plume toute en arabesques, brillant de mille feux, jaillissant en geysers puissants — “Les Jeunes Pousses”, “Nébuleux Bonhomme”. Ou, à l’opposé, montant minutieusement des architectures poétiques à la précision nanoscopique, un travail de patience étalant des mots intimes — “Dunkerque”, “L’Automne Avant L’Heure” –, maniant l’ellipse avec la dextérité de la couturière dans les mains de laquelle sont passées les plus fines étoffes et dont elles sont sorties encore plus magnifiées — “De Fil En Aiguille”, “Herr Rolf”. Françoiz Breut s’est définitivement affranchie de son entourage fidèle pour se hisser au rang des plus précieuses auteures.

Le propos musical est lui totalement inscrit dans l’univers breutien, avec des mélodies qui ouvrent délicatement leurs paupières pour donner à voir de jolis yeux plissés fuyant la lumière du jour mais en mouvement permanent. Elle se la joue rock, elle émiette des boucles electro, elle impose des rythmes éberlués à la batterie (toujours cette science de la rythmique cascadeuse), elle triture ses guitares ou au contraire caresse du regard des cordes fuyantes. Invariablement en formation serrée, ses arrangements semblent toujours tomber à point nommé. Les chansons de Françoiz Breut, toujours entrecoupées d’interludes interlopes, ont cette capacité inestimable d’accrocher instantanément l’ouïe pour finalement donner la délicieuse sensation qu’on n’en fera jamais le tour. L’expérience est d’ailleurs aisée, il suffit pour cela de se replonger dans ses précédents albums pour constater qu’ils sont loin d’avoir dévoilé tous leurs charmes. La jeune femme, avec son air de ne pas y toucher, est une référence, un modèle en terme de composition. Qu’elle s’entoure de la crème de la scène indé ou qu’elle se contente de se pencher sur son métier en s’appuyant sur l’épaule de ses chevaliers servants, Boris Gronemberger et Luc Rambo, elle est une maîtresse des lieux implacable, juste et diablement robuste.

Avec À L’Aveuglette, Françoiz Breut donne un peu plus l’impression que rien ne peut l’atteindre, que jamais elle ne ploiera malgré les tumultes d’un marché récalcitrant et ingrat, et surtout malgré une reconnaissance publique de masse qui tarde à se montrer. Elle est une artisane prolixe, insaisissable et captivante. Malgré cet air timide, cette crainte de déranger, elle continue vaille que vaille à livrer des disques rares et émouvants, en une brillante et sempiternelle séance de jonglerie entre l’intime et l’universel.

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