Des chutes de studio ? On aurait alors bien aimé être la moquette qui les a recueillies à leur époque.


Basse lointaine et aride, cymbale lancinante, guitare en pleine ébriété, rythmique qui caracole un peu partout sauf au milieu du casque, pas de doute, on est bien à la fin du XXème siècle. Les premières notes de “Bongstarr” plongent immédiatement l’auditeur dans l’ambiance indie, à une époque ou ça voulait encore dire quelque chose (plus pour longtemps d’ailleurs), quand les groupes ne vendaient leur âme ni à un iPod ni à des baskets. A l’époque où toutes les salles de concert sentaient le(s) tabac(s) et la bière chaude, et où les musiciens ne s’habillaient pas trop pour la scène. Sans passéisme inutile (et dangereux), un des groupes les plus emblématiques de cette culture revient sur le devant de la scène par la petite porte et ça fait du bien, ce flux de nostalgie n’a rien de désagréable.

Swell est un groupe essentiel, fondamental même. Non pas que la musique du trio mené par David Freel soit à proprement parler géniale ou révolutionnaire. Elle se contentait d’avoir une identité forte, une fausse nonchalance qui traversait des albums habités et envoûtants, cachés derrière une sècheresse qui n’avait pas grand chose de calculé. Un dépouillement tout entier tourné vers l’écriture, le sens des mots. Il y a du blues dans Swell. Pourtant, Swell est typiquement un groupe qui jouait de l’indie-rock pur, sans souci du détail et instantanément. Une mélodie, une chanson. Et cette ascèse a même régulièrement donné aux californiens la possibilité de livrer des albums indispensables, au premier rang desquels Too Many Days Without Thinking (1997). Et, quelques mois après South Of The Rain And Snow, signé du seul Freel, voilà que le trio se reforme et offre à son public rien de moins que des chutes de studio issues des séances d’enregistrement de cet album incontournable, étalées entre 1995 et 1997. En prévision d’un nouvel album ? Pour l’instant, on n’en sait fichtre rien, et pour tout dire on s’en moque, seule une tournée est prévue et c’est déjà beaucoup.

En attendant, on se repaît de ces chansons écartées et l’on constate la puissance tranquille de ce trio. The Lost Album est un disque séminal, une relique alors même qu’il vient d’être édité. Tout ce qui faisait le charme vénéneux de Swell, dans sa configuration d’origine, se trouve sur The Lost Album dans son jus. Cet album se comporte comme s’il sortait de la cuisse de Jupiter, à ceci près que c’est réellement le cas. Il recèle même quelques trésors de toute première qualité, comme la pré-citée “Bongstarr”, “Fuc Yew”, “Bitter Friends” ou “Sunshine Everyday”, de vrais tubes à coller des boutons d’acnée à Pavement ou Yo La Tengo. La voix fatiguée et la guitare évasive de Freel, la basse bourdonnante et moëlleuse de Monte Vallier et la batterie pleine de cambouis de Sean Kirkpatrick y sont aussi indissociables que l’eau et la terre. Et toujours ces mots cinglants, acerbes, chantés une clope au coin des lèvres, elles-même jamais très éloignées du goulot de la bouteille de bière. Il suffit de fermer les yeux et de s’y croire. Et des chutes de cette qualité sont rares, on ne connaît guère que les Pixies, dans un autre registre, pour être aussi passionnants dans la discographie officielle que dans la parallèle — et accessoirement on saisit tout de suite où Pinback tire son inspiration. Et au vu de la haute tenue de The Lost Album, on se prend à rêver que tous les albums antérieurs à Too Many Days… connaissent le même sort.

– Le site officiel