Faut-il sauver le songwriter Ray LaMontagne de l’oubli qui pèse soi-disant sur ses épaules ? A bien l’écouter, cela mérite réflexion.
En 2004, Ray LaMontagne sortait un prometteur Trouble qui sonnait alors comme un bon album de Van Morrison, à tout le moins à l’instar d’un hypothétique album tel que ce dernier ne parvient malheureusement plus à en enregistrer. Aujourd’hui, sort Gossip In The Grain qui évoque un album correct de Van Morrison, enfin celui d’un Van Morrison un tant soit peu inspiré. Et, entre ces deux disques, parut Till The Sun Turns Black (2006), un album qui rappelait l’univers d’un Van Morrison encore capable d’étincelles. Si on apprend beaucoup sur l’auteur de Moondance en écoutant Ray LaMontagne, en revanche on ignore tout ou presque de lui. On reconnaît certes la tessiture d’une voix à la fois sensuelle et râpeuse, une patine sonore rupestre, mais de là à identifier avec précision la singularité de sa musique, voilà chose périlleuse. C’est le lot des élèves trop appliqués : demeurer dans l’ombre de leur maître, au point de disparaître. D’où sans doute, concernant Ray LaMontagne, cette absence de reconnaissance hexagonale (à l’inverse de l’accueil reçu aux États-Unis) que certains regrettent en brandissant l’étendard poussiéreux du « secret le mieux gardé » — dont on peut d’ailleurs se demander qui, du défenseur bienveillant ou du musicien concerné, il sert le mieux. Plus prosaïquement, le manque de reconnaissance du songwriter ne tient-il pas simplement aux limites de son art et à son incapacité à travailler en profondeur les archétypes musicaux de ses prestigieux modèles ?
Les trois disques de Ray LaMontagne apportent l’assurance d’une démarche ouvertement néoclassique. Le natif de Nashua oeuvre dans la continuité, attaché qu’il est à une tradition de songwriting sans âge et indifférent à la valse des modes. Jusqu’ici rien de rédhibitoire. Sauf que ce classicisme assumé se double d’un savant dosage de signes d’appartenance qui situent en permanence la musique de Ray LaMontagne dans une zone de trop grande respectabilité. Et ce n’est pas l’élargissement du territoire sonore (les réminiscences d’Otis Redding ou de la Motown se font encore plus présentes que sur les précédents disques) et l’apport du producteur Ethan Johns (Ryan Adams, Kings of Leon) qui viendront changer ce sentiment de lissage empesé qui domine à l’écoute de Gossip In The Grain. En bon disciple, Ray LaMontagne apporte une pierre à un édifice qu’il fige dans le marbre, sans spéculer sur autre chose que son indécrottable honnêteté. Différent de celui des passéistes roublards (qui font du faux nouveau avec du vrai vieux), son dessein académique semble plus modeste : reprendre les choses là où certains les ont laissées. Ni plus ni moins. Pas de régression à proprement parler, juste un rapport frontal au passé, une propension sans complexe à l’humble copie conforme et à la célébration déférente.
Comme ses deux précédents albums, Gossip In The Grain contient nombre de bonnes chansons (“Winter Birds”, “I Still Care for You”), bien qu’il soit toutefois le moins enthousiasmant des trois (“Meg White” et son texte en forme d’ode ras les pâquerettes à la batteuse des White Stripes paraît très anecdotique, “Sarah” n’est pas exempte de sensiblerie). Et comme sur ses deux précédents albums, le morceau qui sort du lot, éponyme en l’occurrence, vient refermer le disque (introduction en douceur, choeur féminin à peine esquissé, élévation de cordes emmenées par la guitare acoustique, le tout sans lyrisme superflu). On serait tentés ici d’y voir un symptôme : en reléguant son potentiel d’originalité, et la part de risque qu’elle implique éventuellement, au bord de l’oeuvre, comme si le musicien voulait s’en excuser presque, Ray LaMontagne indique que les grands chamboulements formels ne sont pas sa préoccupation majeure. Soit. Mais manque alors de cette chair qui fait les grands disques, de cet emportement mal neutralisé qui vient rompre les mécaniques par trop huilées. Un engagement, aussi, un point de vue sur ce qui se joue capable d’extirper l’album de cette tenace impression de déjà entendu, et dont l’absence criante rend assez ridicules les comparaisons outre-atlantique avec Tim Buckley. Car caché derrière le beau travail, drapé d’une caution artistique plus qu’à la recherche d’un nouvel empire, il est à se demander si le roi LaMontagne n’est pas nu.
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